LIVRE XIX. 287 Mégalopolis, Moron, Coron, Colorie, Méthone, Na-ples de Romanie, l’Acliaïe et Patras ; les iles de Scio, de Ténédos et de Négrepont, dans [’Archipel ; (Candie, à l’entrée de cette mer; au delà, l’ile de Chypre ; dans les temps antérieurs , une partie des côtes de Syrie, et presque constamment toute la chaîne d’iles et de ports qui s’étend depuis la pointe de la Morée jusqu’au fond de l’Adriatique : si on ajoute que des Vénitiens tenaient, comme feudataires de la république, les îles de Lemnos, de Scopulo, et presque toutes les Cyclades, l’aros, N’io, Melos, Naxos, Tine, Andros, Micone et Stam-palie : si on considère ce développement de côtes, ouvert à l’activité de tant de navigateurs et de spéculateurs, dontle gouvernement encourageait l’ambition, on recojinaitra qu’aucune des nations modernes n’avait eu jusqu’alors ni autant d’hommes accoutumés par leur position à l’exercice de la mer, ni autant de terres à explorer, ni autant de ports pour abriter les vaisseaux, ni une si grande variété de productions pour en composer la cargaison. Rien ne donne une plus haute idée de l’activité de ce peuple, de la vigilance de son gouvernement, que le soin et le succès avec lequel il occupait à la fois tant de points éloignés, contenait ses sujets dans l’obéissance, faisait respecter son nom chez les étrangers, et dominer son pavillon sur les mers qui l’en séparaient. La république avait cherché à s’assurer de la fidélité de ses colonies, en y envoyant de ses citoyens qu’elle attachait à leur nouveau pays par des concessions de propriétés. Un tiers de l’ile de Candie avait été donné aux Vénitiens, qui y avaient transporté leur domicile. On y trouvait le triple avantage de surveiller les indigènes, d’intéresser les principaux colons à la prospérité de la métropole, et de procurer aux voyageurs vénitiens un accueil plus fraternel et une protection plus spéciale. Dans le Péloponnèse, il y eut une répartition des terres entre les anciens habitants et les nouveaux. Cent fiefs y furent créés pour les familles patriciennes. Cinquante familles d’artisans y furent transportées. XI. Là où la république n’exerçait pas la souveraineté, elle n’épargnait aucun soin pour assurer à ses commerçants des facilités, des privilèges, et pour entourer ses agents de cette considération qui concilie les égards des étrangers. Ses consuls, choisis presque toujours dans la classe patricienne , étaient entretenus avec une sorte de pompe. On exigeait qu’ils eussent à leur suite un chapelain, un notaire, un médecin, sept serviteurs, deux écuyers et dix chevaux. Aussi leur permettait-on de lever sur le commerce un droit qui allait jnsqu’à deux pour cent. Le revenu des consulats de Syrie et d’Alexandrie était évalué par le cavalier Soranzo à 2b,000 ducats. Ces consuls n’étaient pas seulement les avocats de leurs compatriotes, lorsqu’ils avaient quelque faveur ou quelque réparation à demander au gouvernement du pays ; ils étaient les juges de tous les nationaux, et môme quelquefois ils décidaient dans les causes où des habitants indigènes étaient intéressés : on en a vu un exemple dans l’affaire du vi-dame de Ferrare. Le podestat ou baile de Constan-tinople fut, pendant quelque temps, sur le pied d’un souverain. Il portait les brodequins d’écarlate, marque de la dignité impériale. Il commandait dans tout un quartier de la ville, faisait arborer l’étendard de Saint-Marc sur les clochers, paraissait en public entouré de gardes, exerçait sur la colonie une pleine juridiction ; et même lorsque, après l’invasion des Turcs, il sévit réduit à n’être qu’un ambassadeur, il continua de prendre sous sa protection beaucoup d’habitants étrangers à la république, notamment des Arméniens et des Juifs, qui payaient, par des tributs, l’avantage de n’obéir qu’à lui. Enfin là où les circonstances locales exigeaient plus de modestie et de dextérité , les Vénitiens ne manquèrent ni de l’une ni de l’autre. Quand Louis XIV envoya un ministre et des jésuites pour convertir le roi de Siam, il se trouva que le premier visir de ce prince était un Vénitien de Céphalonie, nommé Constance Falcon. En Egypte ils ménageaient leur crédit auprès des soudans. Lorsque les maîtres de celte contrée furent en état d'inimitié déclarée avec les Turcs, cette circonstance les rapprocha naturellement des Vénitiens. L’union devint tellement inlime , grâce à quelques libéralités que la république savait faire à propos, que les Vénitiens s’approprièrent le monopie du commerce de l’Égypte. Ailleurs, ils savaient se rendre si nécessaires, que lorsqu’ils interrompaient leurs expéditions, les habitants du pays les sollicitaient de les reprendre. On cite une ambassade envoyée pour cet objet à Venise par l’empereur de Trébizonde, en 1560. Il y avait dans l’Asie occidentale un peuple qui, vingt fois asservi, avait su conserver le maniement des affaires commerciales. Les Arméniens, sous le joug des Perses, des Grecs, des Romains, des Par-thes, des Sarrasins, des Tartares et des Turcs, ont prouvé qu’ils savaient défendre leur fortune mieux que leur liberté. Ils avaient cependant, à la faveur des (roubles du xne siècle, formé un Etat indépendant à l’extrémité de l’Asie-Mineure; et ils communiquaient, par l’Euphrate, avec Ormus et le golfe I’ersique. Les Vénitiens eurent l’art de s’emparer des affaires, même chez ce peuple dont elles étaient