LIVRE V. 93 autorité que sous la surveillance des magistrats. Voici ce qui fut réglé par le concordat du 28 août 1289. Dans la capitale, le tribunal du saint-office devait être composé du nonce pontifical, de l'cvêquede Venise et d’un religieux; les deux derniers, malgré leur commission du pape, ne pouvaient exercer ce ministère qu’après avoir reçu des provisions du doge. Dans les provinces, le pape nommait également les inquisiteurs ; mais quand ils n’étaient pas agréés par le gouvernement, ils ne recevaient point de provisions, et la cour de Rome se voyait obligée de faire un autre choix. Trois sénateurs à Venise, dans les provinces trois magistrats, assistaient à toutes les assemblées du tribunal; tout ce qui s’y passait hors de leur présence était nul de plein droit, lis pouvaient suspendre les délibérations, empêcher l’exécution des sentences, lorsqu’ils les jugeaient contraires aux lois ou à l’intérêt de la république : ils juraient de ne rien celer au sénat de ce qui se passerait au saint-office : ils devaient s'opposer à la publication, même à l’insertion sur les registres de l’inquisition, de toute bulle qui n’aurait pas été approuvée par le grand-conseil. Jamais les magistrats assistants du tribunaldel’inquisition nepouvaientêtrepris parmi ceux qui avaient, soit par eux-mêmes, soit par leurs proches, quelques intérêts à la cour pontificale; jamais les procès ne pouvaient être évoqués à Rome, ni ailleurs. A ce sujet on cite l’exemple d’un hérétique de Padoue, contre lequel le grand-inquisiteur de Rome avait informé et qu’il réclama pendant cinq ans. Le gouvernement vénitien ne voulut jamais permettre l’extradition de l’accusé, qui finit par être mis en liberté sans jugement, apparemment parce que les erreurs dont on l’accusait pouvaient ne pas être des hérésies aux yeux de la puissance séculière. La juridiction du saint-office était rigoureusement restreinte au crime d’hérésie. Les Juifs établis sur les terres de la république n’étaient point justiciables de ce tribunal, et on en donnait celte raison, que l’autorité ecclésiastique ne pouvait s’étendre sur ceux qui n’étaient pas du corps de l’Église. Cette juridiction ne s’étendait pas non plus sur les Grecs schismaliques; parce qu’il n’élait pas juste que la cour romaine fût juge dans sa propre cause: ni sur les bigames; parce que, le second mariage étant nul, il ne pouvait y avoir abus du sacrement, mais seulement violation de l’ordre civil : ni sur les blasphémateurs, et à plus forte raison sur les usuriers : ni enfin sur les sorciers ou magiciens, à moins qu’ils n’eussent fait abus des sacrements. Les biens des condamnés restaient à leurs héritiers naturels. Quant aux écrits, on ne pouvait pas, à cette épo- que , en prévoir le danger; l’imprimerie n’était pas encore inventée. Dans la suite, l'inquisition eut le droit d’examiner les livres, mais seulement ceux qui pouvaient intéresser la foi. La permission et la défense d’imprimer furent exclusivement réservées aux magistrats. On pouvait s’en rapporter à leur vigilance : l’aristocratie est à cet égard le moins tolérant des gouvernements. Enfin les délits temporels des ecclésiastiques restèrent, sans exception, dans les attributions de l’autorité séculière. Les fonds mêmes destinés au service du tribunal étaient confiés à un trésorier vénitien, et qui était tenu de rendre compte de leur emploi à l’autorité civile. Telles furent les limites que le gouvernement trouva le moyen d’opposer à une autorité si souvent abusive. Les inquisiteurs ont constamment essayé de s’affranchir de ces entraves; mais ni les subtilités, ni les menaces n'ont jamais pu obtenir à cet égard la moindre concession. L’historien de l’Église rapporte que l’inquisiteur de Venise, s’étant permis de faire emprisonner quelques Juifs convertis qui étaient suspects d’hérésie, les magistrats firent arrêter les familiers de l’inquisition. En 1318, l’inquisition poursuivit à outrance de prétendus sorciers de la province de Brescia. On fut révolté du nombre des condamnations et de la sévérité des peines : le conseil des Dix cassa la procédure, manda les inquisiteurs, et renvoya les accusés devant d'autres juges. Il y avait à Brescia un capucin, qui avait le malheur d’errer dans les opinions que l’on doit avoir de l’ante-christ. L’inquisition voulut le juger comme hérétique, et, sur ce fondement que le délit et l’accusé étaient également soumis à la juridiction ecclésiastique, elle prétendit que les assistants séculiers ne devaient point intervenir au procès : le gouvernement se maintint dans ses droits par sa fermeté. Les exemples sont innombrables des tentatives que les inquisiteurs ont faites, dans tous les temps, pour étendre leur pouvoir et pour s’affranchir de la surveillance des magistrats. XXVI. Ce fut, dit-on, sous le règne de Jean Dándolo qu’on frappa, pour la première fois, à la monnaie de Venise, ces ducats d’or si connus sous le nom de sequins, nom qui leur vient du mot Zecca, qui désigne l’atelier monétaire. L’empreinte de cette monnaie portait le nom et la figure du doge : d’abord on l’y voyait assis ; dans la suite on le représenta debout, enfin à genoux, recevant des mains de Saint-Marc l’étendard de la république. C’était l’histoire de la puissance ducale. Mais une chose plus remarquable, c’est que, pour battre ces sequins, la république eut à solliciter un privilège de l’em-