122 HISTOIRE DE VENISE. logea les uns, combattit les autres, également dangereuse comme protectrice et comme ennemie, et qu’enfin elle ne jouit paisiblement de toutes ces possessions qu’après les avoir acquises et perdues plus d’une fois. Il faudrait quitter et reprendre tour à tour le fil des événements relatifs à toutes les villes qui finiront par rester dans le domaine de la république. Chacune a une longue histoire. VII. François Dandolo occupa le trône pendant onze ans. Le choix qu’on fit de Barthélemi Gradenigo pour lui succéder, indique assez de quelle faveur jouissait, dans le grand-conseil, le nom du fondateur do l’aristocratie. Ce nouveau règne, qui dura trois ans, fut troublé par une révolte de Candie, qui donna lieu à de terribles combats et à des exécutions plus terribles encore. On rapporte à l’année de la mort de François Dandolo (en 1539) le décret qui interdit aux doges la faculté d’abdiquer cette dignité, à moins d’en avoir reçu la permission du grand-conseil. Cela prouve combien cette couronne avait perdu de ce qui pouvait exciter l’ambition et l’envie. On avait déjà ôté aux fils des doges le droit de faire aucunes propositions dans le conseil; quelques années après, on les déclara exclus de toutes les magistratures pendant le règne de leur pore. André Dandolo, qui fut élu pour succéder à Bar-thélemi Gradenigo, n’avait pas borné sa gloire à porter un nom déjà illustre. C’était un des plus savants hommes de son siècle, et il fut un des princes les plus sages entre ses contemporains. La supériorité de ses lumières le fit parvenir de bonne heure aux honneurs que lui promettait sa naissance. II n’avait pas encore trente-six ans lorsqu’on l’éleva à la dignité suprême. Nous lui devons une chronique, qui est le plus ancien monument de l’histoire de sa patrie (1545). VIII. Les papes, pour qui les croisadesavaient été une si grande occasion d’étendre leur autorité, n’avaient point renoncé à faire prêcher dans l’Europe ces fatales expéditions. Clément VI, affligé des progrès que faisaient les Ottomans dans la Grèce et dans l’Asie mineure, parvint à former contre eux une ligue, dans laquelle il ne put cependant entraîner que les puissances plus spécialement intéressées à arrêter ces dangereux voisins. C’étaient la république de Venise, Hugues de Lusignan, roi de Chypre, et lçs hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, alors établis à Rhodes. Cette ligue ne s’annoncait pas pour devoir être très-formidable; car le pape, dans sa lettre au grand-maître de Rhodes, disait que la chambre apostolique faisait armer quatre galères, que le roi de Chypre en fournirait autant, et que le contingent de la république de Venise était fixé à cinq. En mèine temps il prescri- vait à l’ordre d’en fournir six. C’était donc en tout une flotte de dix-neuf galères. Le rendez-vous était à Négrepont, à la fin de l’année 1543; ce qui doit paraître assez étrange, puisque les Turcs assiégeaient alors cette place. Il est vrai que les historiens vénitiens assurent que la seule apparition de l’escadre de la république détermina les assiégeants à se rembarquer, et à s’enfuir précipitamment sans avoir combattu. II n’est guère vraisemblable que la vue de cinq galères ait pu produire un pareil effet; les historiens, qui ont prévu cette objection, portent le nombre de ces galères à vingt; mais, quoi qu’il en soit, l’armement des Vénitiens était peu considérable; et ce qui le prouve, c’est que le commandement de la flotte combinée ne fut point déféré à Pierre Zéno, leur amiral, mais au Génois Martin Zacharie, qui commandait les quatre galères du pape. Ce fut sur la capitane que le patriarche latin de Constantino-ple, revêtu du caractère de légat, arbora son pavillon. Adolphe, neveu du roi de Chypre , Jean de Riadra, prieur de Loinbardie, qui conduisait les galères de la religion , et le général vénitien , firent, sous les ordres de Zacharie, la première campagne commencée à la fin de 1545, et qui se réduisit à des courses sur les vaisseaux turcs, fort profitables à l’amiral génois et même au patriarche. Les chevaliers, quoiqu’on leur reprochât dès-lors la soif des richesses, furent indignés de cet esprit mercantile, qui se mêlait aux soins de la guerre, et qui déshonorait également le prélat et le général. Ils réclamèrent le commandement pour l’amiral de Rhodes, et celui-ci proposa aux alliés d’aller attaquer la ville de Smyrne. Cette ville, que son heureuse situation et la beauté de son port ont désignée dans tous les temps pour avoir la plus grande part au commerce du Levant, avait été fréquentée par les Génois et les Vénitiens, qui regrettaient de s’en voir exclus par les infidèles. IX. Ce fut à la fin de septembre 1344 que la flotte parut devant la rade. On se distribua les attaques; les Vénitiens se chargèrent de rompre l’estacade qui formait le port ; les chevaliers assiégèrent la ville par terre, de concert avec les troupes du pape et celles du roi de Chypre. Les premiers efforts furent repoussés; mais on multiplia les assauts, cl, le 28 octobre, on emporta la place l’épée à la main (1544). Toute la population musulmane fut égorgée sans pitié. Le zèle furieux des croisés alla jusqu’à massacrer les enfants, les vieillards, les femmes ; et après que ces horreurs eurent souillé leurs armes pendant plusieurs jours, le légat s’occupa de purifier les temples qui avaient été convertis en mosquées, et fit sculpter les deux clefs de l’Église sur les portes du château, où on les voit, dit-on, encore.