214 HISTOIRE DE VENISE. le G juillet. Les habitants se rachetèrent du pillage moyennant une somme de dix mille ducats. Cette conquête donna à l’armèe la facilité de s’avancer sur le territoire de Crémone, dont les troupes milanaises voulurent disputer l’approche; mais elles furent obligées de se replier, pour se mettre sous la protection de la place. Vis-à-vis Crémone, de l’autre côté du Pô, était une petite principauté appartenant au comte Pala-vicino. Il avait tâché jusque-là de se maintenir dans l’amitié du duc de Milan, qui ôtait un voisin dangereux. La présence des troupes vénitiennes l’obligea de manifester d'autres sentiments; il fit valoir tous les sujets de plainte qu’il avait à porter contre les Visconti, et sollicita d’ètre admis dans l’alliance de la république. VII. L’année navale avait suivi le mouvement de l’armée de terre; elle s’était avancée jusqu’auprès de Crémone. Le 7 août, elle rencontra la flotte ennemie, qui était sous les ordres d’Eustache de Pavie, et avec laquelle elle eut un combat de neuf heures, qui se termina par la prise de six galères milanaises, et la destruction de trois forts en bois que l’ennemi avait élevés au milieu du fleuve. Ce qui peut donner une idée de la force assez médiocre de ces bâtiments, c’est le nombre des prisonniers qui ne s’éleva qu’à trois cent soixante-dix. L’amiral François Bembo poursuivit sa victoire; et, remontant le I’ô, entra dans le Tésin, menaça Pavie sans l’attaquer, et ramena ensuite sa flotte à Venise. Cesopéralions pouvaient faciliter les mouvements de l’armée de terre, mais ne décidaient point du succès de la campagne. C’était la prise de Crémone qui était dans ce moment l’objet important, parce qu’elle aurait procuré aux Vénitiens une position assurée au delà de l’Oglio, sur le Pô. Maîtres de Crémone, ils pouvaient recevoir des secours de leur flotte; ils prolongeaient la ligne des places qu’ils avaient déjà sur le fleuve; ils se trouvaient établis sur la rive gauche de l’Adda, et ils n’avaient plus que cette dernière rivière à passer pour entrer dans le Milanais. Les généraux du duc, qui sentaient l’importance de Crémone, ne négligèrent rien pour attirer Carmagnole du côté de Brescia. Us le forcèrent à passer sur l’autre rive de l’Oglio, pour aller au secours de cette place. Le général vénitien, qui n’oubliait pas combien il lui avait été profitable, l'année précédente, do pratiquer des intelligences dans les places ennemies, cherchait à s’introduire, par les mêmes moyens, dans quelques-unes de celles que les Milanais occupaient encore. Celte fois, sa propre ruse devint un piège qui faillit à lui être fatal. Le commandant de Gatalengo, qu’il avait tenlé de séduire, feignit de vouloir livrer ce château; Carmagnole, arrivant pour s’en emparer, tomba dans une embuscade où il perdit quinze cents hommes, le jour de l’Ascension : c’était mal célébrer la fête de Venise. Cet échec lui rendit toute sa prudence accoutumée; il ne campa plus sans étendre autour de lui un rideau de vedettes, et sans se faire un rempart de ses équipages, qui étaient fort nombreux ; car on comptait dans son armée deux mille chars attelés de bœufs. Rester dans la province de Brescia, où il n’avait plus rien à conquérir, c’était se réduire à la guerre défensive. 11 força le passage de l’Oglio , à Bina, et vint camper avec trente-six mille hommes à trois lieues de Crémone. Cette manœuvre obligea les généraux milanais de le suivre; et le duc lui-même, s’arrachant à sa mollesse accoutumée, se détermina à venir partager, pour la première fois, non les dangers, mais le spectacle de la guerre. L’armée du duc, à peu près aussi forte que l’armée vénitienne, était placée entre Cennensi et Crémone; elle venait de recevoir un renfort de quinze mille volontaires fournis par la ville de Milan ; ce qui ajoute bien à la conviction que cette capitale voulait repousser le joug de la seigneurie. Le 12 juillet, cette armée entreprit de forcer les Vénitiens dans leurs lignes : en effet, les premiers escadrons y pénétrèrent; mais les nuages de poussière qui s’élevaient sous les pas d’une nombreuse cavalerie, ne permirent bientôt plus aux combattants de se reconnaître, aux corps de manœuvrer, ni aux chefs de rien ordonner. On combattait au hasard ; les généraux de l’un et de l’autre parti se trouvèrent isolés, égarés au milieu des troupes ennemies. Carmagnole, qui avait perdu son cheval, errait à pied dans son camp, où François Sforce se trouvait lui-même presque séparé de tous les siens, et cherchant une issue. Ce combat n’eut d’autre résultat que de hâter le départ de Philippc-Marie, impatient de retourner à Milan, pour opposer une partie de ses troupes au due de Savoie, qui marchait sur Verceil. \ III. Carmagnole s'attacha à fatiguer l’armée ennemie. Après avoir été sous le commandement de quatre chefs à peu près égaux en autorité, elle venait d’ètre mise sous les ordres de Charles Malatesta, fils du seigneur de Pesaro. Ce nouveau général suivait tous les mouvements des Vénitiens, tantôt provoqué ou menacé par eux, tantôt évité par une marche rapide. Les olliciers du duc désiraient ardemment de mettre lin à tant de fatigues, qui n’avaient aucun résultat. Enfin , le 10 octobre , ils apprirent que l’armée vénitienne se trouvait sur un terrain marécageux, près du village de Macalo, dans le Crémonais (1427).