LIVRE XIX. ils prêtaient aux croisés cent mille ducats d'or, qu’un historien moderne évalue à six cent mille se-quins. Sur les côtes de l’empire grec, ils se présentèrent, en 1164, avec cent galères et vingt gros vaisseaux équipés en trois mois. Dans leur guerre contre Emmanuel Comnène, ils armèrent cent galères à deux rangs de rames, vingt légers voiliers et trente bâtiments de transport. L’équipement de cette flotte fut l’ouvrage de cent jours. Lorsqu’ils devinrent les alliés de l’empereur de Constantinople, ils s’engagèrent à lui fournir, à sa réquisition, cent galères de cent quarante rameurs chacune; et on ajoute que ces cent galères devaient être armées par les sujets de la république établis dans l’empire grec ; d’où il faudrait conclure que la population de cette colonie vénitienne s’élevait à soixante ou quatre-vingt mille âmes. Et quand on considère que l’entretien d’une galère de moyenne grandeur, pendant un an, était évalué à quatre mille deux cents ducats d’or, et son approvisionnement de vivres à sept mille deux cents ; quand on y ajoute ce que devaient coûter la construction ou la réparation du bâtiment, les armes, les munitions de guerre, on voit que l’armement d’une galère ne revenait pas à moins de vingt mille ducats, pendant une campagne, et par conséquent la sortie d’une flotte de cent galères était une dépense de trente et quelques millions de notre monnaie. Lorsque les Vénitiens attaquèrent la capitale de l’empire d’Orient, en 1201, de concert avec les Français, ils couvrirent la Propontide de plusieurs centaines de vaisseaux, qui portaient les chevaux, les machines, et près de quarante mille hommes de débarquement. Pendant tout le xiii0 et le xive siècle, l’animosité des Génois ne fut vaincue que par d’incroyables efforts, et enfin (comme nous le verrons bientôt), après une guerre malheureuse contre les forces réunies de la France, de l’Empire, de l’Espagne et de l’Italie, Venise eut la gloire d’opposer une longue résistance à toute la puissance de l’empire ottoman. Aucun État n’aurait pu soutenir, dans une guerre de terre, une lutte si prolongée et quelquefois si inégale. XXIX. La supériorité de la marine vénitienne compensait cette inégalité. De très-bonne heure les Vénitiens surent construire de grands vaisseaux, qui, outre les rameurs et les hommes nécessaires à la manoeuvre, portaient deux cents soldats. On dit que leurs grosses galères avaient jusqu’à cent soixante-quinze pieds de quille (1); la longueur des (1) Le pied de Venise est plus long de dix lignes que la mesure connue en France sous le nom de pied-de-roi. HISTOIRE DE VEMSE. galères légères était de cent trente-cinq pieds ; les premières, qui étaient destinées au transport, n’avaient que deux voiles; les secondes, destinées au combat, étaient gréées de manière à exécuter les évolutions avec plus de promptitude et de facilité : elles avaient trois voiles, celle du milieu, celle d’artimon, et celle d’étai. Les bâtiments qui devaient naviguer dans la mer Noire en portaient quatre ; mais les unes et les autres allaient aussi à la rame. Vers le milieu du quatorzième siècle, quelques navires sortis du port de Bayonne, se hasardèrent à faire le tour de l’Espagne et entrèrent dans la Méditerranée. Les Vénitiens reconnurent aussitôt que ces bâtiments, construits pour naviguer dans une autre mer, avaient une coupe différente et quelques qualités supérieures. Attentifs alors, plus qu'ils ne le furent dans la suile, à saisir tous les moyens de perfectionnement, ils s’empressèrent de construire des vaisseaux sur le modèle des Rayonnais. On voit, par le témoignage des historiens, que sur les galères vénitiennes il y avait cent quatre-vingts, deux cents, trois cents hommes d’équipage. Ils parlent de galères à cent rames, ce qui suppose une chiourme encore plus nombreuse. Enfin ils assurent que les coques, ou gros vaisseaux de transport, contenaient jusqu’à sept cents, huit cents et mille hommes. Cela explique comment, dans le traité que la république fit avec Saint Louis pour le passer en Afrique avec son armée, elle s’obligea à lui fournir quinze gros bâtiments pour le transport de quatre mille chevaux et de dix mille fantassins. Aujourd’hui, quinze vaisseaux quelconques ne suffiraient pas à ce transport : ceux-ci avaient quatre-vingts, cent, cent dix pieds de quille. Les Vénitiens avaient une si haute idée de leurs grands bâtiments de guerre ou ga-léasses, que ceux qui en prenaient le commandement étaient obligés de s’engager, par serment, à ne pas refuser le combat contre vingt-cinq galères ennemies. Les galères légères étaient armées à leur proue d’un rostre ou éperon de fer ; les plus grandes portaient suspendue à leur grand mât une grosse poutre, garnie aussi de fer des deux côtés, qu’on lançait sur le pont des navires ennemis, et qui quelquefois les enlr’ouvrait. Sur le pont de ces gros navires, on élevait des tours, pour attaquer les remparts dont on pouvait approcher. Outre les armes de jet, comme l’arc, les javelots et la fronde, les équipages combattaient avec la lance, le sabre et la hache; ils élaient pourvus contre les traits de l’ennemi de casques, de cuirasses et de boucliers. Je ne parlerai point ici du feu grégeois, parce que nous manquons totalement de connaissances positives sur cette matière. L’historien Nicétas, qui écrivait dans les premières années du xme siècle, rapporte qu’à celte époque, ce moyen de destruc- 20