LIVRE XXIV. 397 ni la rapacité. Les habitants de la Lombardie se jetèrent aux pieds d’un vainqueur qui voulut bien se croire assez leur maître pour daigner les protéger. Telle est la malheureuse condition des peuples qui ne sont pas assez forts pour inspirer de l’énergie à leur propre gouvernement, et faire eux-mêmes leur destinée. VIII. Le nouveau duc, dont la capacité était bien au dessous de ces graves circonstances, abandonné par ceux-là mêmes qui avaient embrassé sa cause, et dont il avait trompé l’espoir, s’était réfugié dans le camp des Suisses à Novarre, c’est-à-dire dans le même lieu où son père avait été livré par la même nation, aux mêmes généraux qui commandaient actuellement l’armée française. Tout semblait, comme dit Guichardin, rappeler le passé; aussi la Tré-mouille s’empressa-t-il d’écrire au roi qu’il espérait prendre le fds, comme il avait pris le père treize ans auparavant. Ce succès n’était pas en effet sans vraisemblance. Les Suisses n’étaient dans Novarre qu’au nombre de six mille hommes, sans cavalerie et sans artillerie de campagne. Il est vrai qu’ils attendaient deux corps de sept mille hommes chacun, qui devaient leur arriver par la vallée d’Aoste et par celle du Tésin : c’était une raison pour les Français dese hâter de forcer dansNovarre ceux qui y étaient déjà. La Trémouille, sans attendre que toute son armée eût pu le joindre, jeta une garnison dans Alexandrie, et marcha sur Novarre avec cinq cents gendarmes, six mille lansquenets, quatre mille hommes d’infanterie française, et vingt-deux pièces de canon. Arrivé devant la place, il n’y trouva ni disposition à l’y recevoir, ni disposition à le craindre; les Suisses ne daignèrent pas même fermer les portes, essuyèrent le feu de son artillerie sans en être ébranlés, et le repoussèrent fièrement quand il s’avança pour les tâter de plus près. Il fallait se résigner à former un siège en règle, mais l’approche des renforts qu’ils attendaient ne permettait pas d’y penser. On apprit que la première division de sept mille hommes devait arriver le lendemain, et que la seconde marchait à une journée de distance. La Tré-mouille décampa aussitôt, pour se porter à deux milles de Novarre, vers un bourg appelé la Riotta, dans l’espérance sans doute d’arrêter la première de ces divisions au passage du Tésin ; mais les Suisses, instruits apparemment de sa marche, ne se présentèrent point au passage où il les attendait, franchirent le fleuve plus bas, et entrèrent dans Novarre le soir même du jour qu’il s’en était éloigné. Dès qu’ils se virent au nombre de treize mille hommes, ils prirent une de ces résolutions qui caractérisent l’audace des capitaines et la confiance du soldat : sans se donner un jour de repos, sans attendre leur seconde division, sans considérer qu’ils n’avaient ni canon, ni cavalerie, ils partirent le 6 juin 1813, à minuit, pour aller attaquer l’armée française dans son camp. Ce camp était, dit on, mal choisi, et on en attribue la faute au maréchal de Trivulce, qui avait voulu ménager une terre qu’il possédait dans cet endroit. Les Français, arrivés depuis quelques heures, n’avaient pas eu le temps de se fortifier, bien qu’ils fussent pourvus de retranchements portatifs, qui consistaient en madriers qu’on enlaçait les uns dans les autres, invention de Robert de la Marck, seigneur de Sedan, l’un de leurs généraux. La nuit, quoiqu’elle soit très-courte dans cette saison, durait encore, lorsque le camp fut assailli à l’improviste. Sept mille Suisses se dirigeaient vers le centre de l’armée française, le reste des leurs menaçait les deux ailes, et contenait les troupes dans leurs positions; mais on ne pouvait savoir à quel nombre on avait affaire. Malgré le désordre inséparable de toutes les surprises, et surtout des surprises nocturnes, la Trémouille parvint à ranger son armée en bataille, et le canon commença à tirer avant qu’on pût distinguer les objets. Les cris des assaillants servaient à le diriger, et annonçaient que son effet était déjà très-meurtrier. Quand Je jour vint éclairer cette scène de carnage, il se trouva que les Suisses étaient à la portée de toutes les armes de trait, et ils renouvelèrent leurs efforts pour arriver droit au centre de la ligne, et s’emparer de l’artillerie qui les foudroyait. Ce fut alors que le canon, dirigé sur ces masses épaisses et serrées, qui s’avancaient sans précipitation, les sillonna dans tous les sens, emportant des files entières, mais sans pouvoir parvenir à arrêter la colonne. Les lansquenets et l’infanterie française disputaient l’approche du camp; la cavalerie, qui aurait pu charger ces masses avec avantage, parce qu’elles n’avaient qu’une faible mousqueterie, ne le fit point. Les historiens italiens en accusent la lâcheté des gendarmes ; les Français les excusent, en attribuant leur inaction à des marais qui coupaient le terrain. On cite cependant une charge effectuée par Robert de la Marck, qui, apprenant que ses deux fils étaient enveloppés par les ennemis, se jeta avec un escadron au milieu d’un bataillon suisse, et parvint à les dégager. Quoi qu’il en soit, après deux ou trois heures de combat, le corps de réserve des Suisses fit un dernier effort, les lansquenets lâchèrent le pied, les batteries restèrent sans défense, et pendant ce temps-là, un corps d’ennemis vint attaquer les derrières du camp. La gendarmerie y courut : aussitôt toute