184 HISTOIRE DE VENISE. niani, pour défendre l'entrée du port de Venise, et une flottille composée de tous les petits bâtiments que l’on put armer, alla, sous les ordres de Jean Rarbadigo, croiser dans les lagunes, pour empêcher les troupes du seigneur de l’adoue, répandues sur la côte, de communiquer avec les Génois, en traversant le bassin des lagunes. IX. Ces dispositions étaient à peine terminées, que, le 6 août, quarante-sept galères, commandées [>ar Pierre Doria, vinrent menacer le port du Lido. Jugeant apparemment trop difficile de le forcer, la flotte lit voile au sud, longea toute la plage, trouva la passe de Malamocco également bien défendue, et se détermina à forcer celle de Chiozza. Le seigneur de Padoue seconda cette attaque. 11 lit descendre par les canaux de la Rrenta des barques qui vinrent assaillir un grand vaisseau qui protégeait l’estacade. Tandis que les Génois redoublaient leurs ell'orts pour la rompre, les gens de François Carrare, placés de l’autre côté, détachaient les madriers, et mettaient le feu au vaisseau; enfin cet obstacle vaincu, les ennemis pénétrèrent dans les lagunes, et commencèrent à l’instant le siège de Chiozza. Cette ville, située à l’extrémité d’une île, n’y tient que par un pont de deux cents pas de longueur; des bas-fonds la rendent inaccessible de tous les aulres côtés, la bourgeoisie enrégimentée partageait le service avec la garnison. Les forces des Génois, et les troupes que François Carrare en personne avait amenées par la pointe de Rrondolo, formaient une armée de vingt-quatre mille hommes, Elles donnèrent, le 11 août, aux ouvrages qui défendaient le pont, un premier assaut qui fut suivi le lendemain d’une attaque générale. La tète de pont fut emportée; mais au delà il y avait encore des ponts-levis à franchir, et des fortifications à enlever.Le 13, on secanonna vivement. Le 14 et le 13, de nouveaux assauts livrés avec une telle fureur qu’ils durèrent tout le jour, furent repoussés avec une constance plus grande encore. Le 16, les assaillants résolurent de faire les derniers efforts pour emporter ou' détruire le pont. Tandis que l’attaque commençait de tous côtés, on fit avancer les machines incendiaires : la résistance était toujours également vigoureuse, et déjà Carrare proposait de renoncer à cette entreprise, lorsqu’on vit s’élever une flamme qui était celle d’un brûlot, et qu’on prit pour l’incendie du pont lui-même. Les troupes vénitiennes, craignant que toute retraite ne leur fût à l’instant coupée, se hâtèrent de le repasser; mais ce fut avec une telle précipitation, que les ennemis, en les poursuivant, entrèrent pêle-mêle avec elles dans la place, qu’ils saccagèrent. Ce siège de six jours avait coûté aux Vénitiens six mille hommes, et fait tomber entre les mains des Génois près de quatre mille prisonniers :1a perte des vainqueurs avait été beaucoup plus considérable; mais ils se trouvaient maîtres d’une ville fortifiée, assurés d’un passage de la haute mer dans les lagunes, d’une communication avec le continent, et le canon qui avait battu Chiozza avait été entendu de Venise. Ce fut au nom du seigneur de Padoue que les alliés prirent possession de leur nouvelle conquête, et firent prêter aux habitants serment de fidélité. Carrare proposait de profiter, pour attaquer Venise, de la consternation que cet événement avait dû y répandre. Les Génois voulurent s’établir solidement dans ce poste avant de passer à de nouvelles opérations. Venise bloquée par mer, n’ayant que des ennemis sur la côte voisine, réduite à disputer un banc de sable de quelques lieues, et n’osant hasarder les débris de sa flotte, même dans les lagunes, ne pouvait recevoir aucun secours. Elle n’avait point d’alliés; elle devait se voir bientôt en proie à la famine; le désespoir allait la livrer aux Génois. Doria jugea que la prudence lui conseillait de s’affermir dans sa position sans rien précipiter, puisque celle de l’ennemi ne pouvait qu’empirer. X. En effet tout était à Venise dans une profonde consternation, et dans une agitation extrême. C’était au milieu de la nuit qu’on y avait appris la perte de Chiozza, par le retour de quelques braves qui avaient inutilement essayé de s’y jeter. Le tocsin de Saint-Marc avait appelé soudain toute la population aux armes. Les citoyens de tous les rangs avaient confusément passé le reste de celte nuit sur les places publiques, s’attendant d’un moment à l’autre à voir l’ennemi attaquer une capitale où rien n’était organisé pour le repousser. Le jour parut, et l’on vit au haut des tours de Chiozza flotter l’étendard de Saint-George au dessus du pavillon de Saint-Marc renversé. Les gémissements des femmes, l’agitation du peuple, le trouble de ceux qui tremblaient pour leurs richesses, l’inquiétude des magistrats, qui révélait que la ville se trouvait sans approvisionnements, des milliers de voix qui demandaient la paix à quelques conditions qu’il fallût souscrire pour l’obtenir; tout cela détermina le conseil à envoyer des négociateurs auprès de l’amiral génois. Le doge écrivit au seigneur de Padoue dans des termes qui n’annonçaient que trop la détresse de la république. 11 traitait d’altesse cet ancien vassal, lui demandait son amitié, le priait de dicter les conditions de la paix. Doria, à qui les Vénitiens présentaient quelques prisonniers de sa nation, qu’on lui renvoyait dans l’espoir de le disposer plus favorablement, répondit aux ambassadeurs: « Vous pouvez les ramener; je