HISTOIRE DE VENISE. parce qu’il y avait de leurs compatriotes dans l’armée ennemie; ensuite, sous prétexte que le paiement de leur solde était différé d’un jour, ils voulurent sortir de Novarre, pour s’en retourner chez eux ; tout ce que Louis Sforce put en obtenir, ce fut de sortir avec eux, à pied, mêlé dans leurs rangs, déguisé en soldat, d’autres disent en moine. Mais il est rare que, dans une telle situation, les princes ne conservent que des serviteurs fidèles : en défilant devant les Français , il fut reconnu, peut-être même indiqué par les Suisses (1), arrêté, et envoyé en France, où il passa dix ans dans une prison de quelques pieds de large, pour mourir de joie , le jour qu’on lui rendit sa liberté. C’était cc même prince de qui, peu de temps auparavant, ses courtisans disaient, qu’il avait les Vénitiens pour trésoriers, le roi de France pour général, et pour courrier l’empereur. Son frère, le cardinal Ascanio, tomba entre les mains des Vénitiens. Le roi, qui était mécontent de la conduite équivoque de ses alliés, le réclama avec beaucoup de hauteur ; la république fut forcée de livrer son prisonnier. Elle poussa même la déférence jusqu’à rendre l’épée et la tente de Charles VIII, trophées de la bataille de Fornoue, et jusqu’à livrer quelques fugitifs de Milan, à qui elle avait accordé un asile. On attribua la demande que le roi avait faite du prisonnier, à l’importance qu’il attachait à avoir en sa puissance le frère du duc de Milan; mais on vit bientôt le premier ministre de Louis XII visiter le cardinal dans sa prison, adoucir sa captivité, et profiter de cette occasion pour se faire un mérite auprès du sacré collège, en procurant la liberté à un de ses membres. Louis XII, maître de son compétiteur, envoya le cardinal d’Amboise prendre possession de Milan. Les habitants le reçurent à genoux; il ne répondit à leurs larmes que par un regard sévère, et au lieu d’aller habiter le palais, comme on l'en suppliait, il se rendit au château, fit braquer le canon sur la ville, et ordonna que tel jour le peuple s’assemblât pour entendre sa sentence. Ce fut le vendredi-saint, que, du haut du trône, le cardinal annonça leur pardon à tous les habitants prosternés devant lui, et leur imposa une contribution de trois cent mille écus (2). Après celte cérémonie fastueuse, d’Amboise honora son administration, par la modération avec laquelle il traita ces peuples , dont la seconde soumission n’était pas plus sincère que la première. Ceci se passait au mois d’avril de l’an 1300. La république était en possession de scs nouvelles ri) Monuments de la monarchie frnncoisc, par Moxt-faucok, t. IV, p. 70. conquêtes dans le Milanais. Elle terminait par des sacrifices, et non sans quelque gloire, la guerre dans laquelle elle avait été engagée contre les Turcs; mais les Français étaient maîtres de Gênes et de la Lombardie. Ce fut dans ces circonstances que mourut le doge Augustin Barbarigo. Son règne avait été marqué par des événements importants, et la fermeté de son caractère lui avait procuré une autorité plus grande que celle dont ses prédécesseurs avaient joui, depuis que la jalousie du sénat avait dépouillé cette dignité de ses anciennes prérogatives. Le successeur d’Augustin Barbarigo fut Léornad Lorédan (1300). On a vu avec quelle facilité Louis XII avait fait, perdu et recouvré sa conquête. A peine était-il maître de Milan, pour la seconde fois, que le moment arriva de remplir les engagements qu’il avait pris envers le pape; c’est-à-dire, de fournir des troupes à César Borgia, pour le mettre en état de dépouiller les seigneurs de la Romagne. I/liisloriographe de France Garnier fait ici une singulière réflexion. Après avoir discuté fort au long l’origine de la puissance temporelle des papes, et montré qu’il était fort impolitique de servir l’ambition d’Alexandre VI, il ajoute : « On ne peut « excuser la faute que Louis commit en cette occa-« sion, qu’en disant que, dans l’arrangement qu’il « prit alors avec le pape, il n’était point question « des intérêts du saint-siége, mais uniquement de « ceux de César Borgia. » Comme si quelques raisons d’équité, de politique ou de morale eussent pu faire préférer celui-ci aux princes qu’on allait dépouiller pour lui former une souveraineté arrosée de sang français; le roi mit un prix à cette complaisance, et ce prix fut un accroissement de dignité pour son premier ministre. Le cardinal d’Amboise fut revêtu du titre de légat à latere, dans le royaume, et reçut, en traversant la France, les honneurs réservés aux souverains. Cette faiblesse du ministre explique la faute du roi ; et ce n’était pas que George d’Amboise n’en fût bien averti : car Machiavel raconte qu’ayant été envoyé à la cour de Louis XII par sa république, le cardinal lui dit un jour que les Italiens n’entendaient rien à la guerre; à quoi le secrétaire de Florence répondit : « Comme les Français aux affaires d’Etat, depuis qu’ils travaillent à l’agrandissement du pape. » Les troupes françaises occupaient Gênes, le Milanais; il y en avait dans la Romagne. 11 importait aux desseins du cardinal d’Amboise de les porter (2) Monuments de la monarchie francoise, par Most-faucok, t. IV, p. 70.