302 HISTOIRE DE VENISE. avaient fini par ne pouvoir plus soutenir la concurrence, ni même la comparaison avec les produits des manufactures françaises; et ce qui le prouvait, c’était la grande quantité de ceux-ci qui se vendaient à Venise même, quoiqu’ils y fussent sévèrement prohibés. Il y avait cependant une étoffe appelée damasquinette, que les étrangers n’ont jamais pu imiter parfaitement, et qui était à elle seule la matière d’un commerce immense, car elle formait la moitié des valeurs que les Vénitiens exportaient dans le Levant. Leurs armes, qui se fabriquaient principalement à Brescia, avaient fini par perdre leur réputation, après avoir été longtemps fort estimées. Cela tenait à l’infériorité du fer que les Vénitiens avaient à leur disposition, cl qui était moins bon que celui de France et de Suède. Cependant ils continuèrent de vendre à l’Europe leur acier, qui passait pour très-fin. Ce ne fut qu’en 1771 que la fabrication des boutons de métal fut introduite à Venise, encore y fut-elleapporlée par un Polonais. Les dentellesd’Alençon avaient fait tomber la vogue du point de Venise. Les savonneries de Marseille avaient acquis une grande supériorité; et nos manufactures de glaces ne permettaient pas à celles de Murano la moindre concurrence. Ici, on est en droit de reprocher aux Vénitiens leur attachement aux anciennes méthodes. Tandis que les glaces françaises, coulées sur des tables de bronze, étaient portées à des dimensions longtemps inconnues partout ailleurs, les Vénitiens s’obstinèrent à fabriquer les leurs en manchon, c’est-à-dire en masses cylindriques, qu’il fallait ensuite dérouler, étendre, amollir par l’action du feu, et qui, dans celle seconde opération, ne pouvaient acquérir ni la pureté, ni le parfait niveau, ni les grandes proportions des nôtres. Leurs instruments d’optique n’avaient quelque débit que grace à la modicité de leur prix; ils n’étaient comparables ni à ceux de France, ni à ceux d’Angleterre. La fabrique de Murano attestait l’ancienneté de l’art, sans en montrer la perfection; aussi était-ce par ses ouvrages de moindre valeur qu’elle continuait d’èlre profitable. On y exécutait toutes sortes de verroteries, comme miroirs, glaces soufflées, perles fausses, fils de loutcs couleurs, en lin mot de ce genre de bijouterie en verre, qui sert d’objet d’échange chez divers peuples grossiers. Comme produits de l’art, ces objets ne méritaient aucune attention ; comme matière de commerce, ils n’étaient pas sans importance, car leur fabrication occupait deux mille cinq cents ouvriers, et procurait un million de ducats de bénéfice. Le bas prix de ces objets en assurait le débouché; mais comme les Vénitiens n’étaient pas en rapport direct avec les consommateurs, ils vendaient ces produits de leurs manufactures aux nations dont le commerce était plus étendu, principalement à la France, qui en approvisionnait ensuite l’Espagne:et il est assez remarquable que ces mêmes Vénitiens, qui faisaient un si grand mystère de leur art de fabriquer les perles fausses, en achetaient en France pour aller les vendre dans le Levant. XXV. Voici comment ces diverses manufactures étaient réparties sur le territoire vénitien. Dans le Frioul, il y avait beaucoup de métiers à soie, des papeteries et des fabriques de laine. A Bassano, on filait la soie et on faisait des draps. Les montagnards de Salo faisaient des toiles et du fil. L’industrie de la province de Bergame consistait à filer des organsins, à fabriquer du papier et des étoffes de laine légères. Il y avait aussi des forges, de même que dans la province de Brescia. Celle-ci était le pays des armuriers; on y comptait aussi quelques tisserands, et on évaluait les produits des manufactures de cette province, en lin, à trois cent soixante mille livres de France, et en soie, à deux millions et demi. Vérone, Vicence, l’adoue, étaient remplies de moulins à soie et de métiers pour la fabrication des étoffes de soie et de laine. Padoue avait de plus une industrie particulière, c’était la fabrique des chapeaux. Murano jouissait du privilège de fabriquer exclusivement les glaces et tous les objets en verre. Les soieries de toute espèce, les dentelles, les chapeaux, l’orfévrerie, les savonneries, les raffineries et la préparation des produits chimiques, occupaient la population manufaclurière de la capitale. On voit que les colonies étaient absolument exclues de toute participation à ces avantages. XXVI. Nous allons maintenant considérer le commerce des Vénitiens dans ses rapports avec les autres nations. Mais, ainsi que j’en ai prévenu le lecteur, ces notions ne s’appliquent point à une époque reculée, parce que les historiens du vieux temps ne croyaient pas ces détails dignes de l’histoire. Au reste, on peut juger que la république de Venise n’ayant jamais possédé'qu’un territoire médiocrement étendu, montagneux dans quelques parties, et couvert partout d’une population nombreuse, celle population devait consommer à peu près tous les produits du sol, et ne laisser au commerce qu’une matière d’exportalion de peu d’importance. Les seuls objets que la nature fournil aux Vénitiens en assez grande quantité pour pouvoir en vendre habituellement à l’étranger, étaient