174 HISTOIRE DE VENISE. niais de modiques pensions n’auraienl pas déterminé les possesseurs à s’en dessaisir, s’ils n’eussent senti que ces possessions étaient près de leur échapper. I.’empire d’Oricnt, depuis longtemps en lambeaux, touchait au terme de son existence; le torrent de la puissance ottomane battait les murs de Constantinople, et inondait déjà les provinces européennes. Il était évident que les petits princes établis sur les eûtes, ou dans les Iles de (’Archipel, devaient être engloutis parce débordement, et on ne savait même où trouver assez de forces pour lui opposer une digue capable de l’arrêter. Après les empereurs grecs, si on peut encore compter ces princes #u nombre des puissances, les Vénitiens, les Génois, et le roi de Hongrie, étaient le plus immédiatement intéressés à empêcher les progrès des Ottomans, commandés alors par Bajazet, leur quatrième sultan. Manuel l’aléologue sollicita les secoursde la chrétienté, avec toutes les instances d'un homme qui ne compte pas sur son propre courage. La république, disposée à entrer dans cette ligue, n’épargna rien pour la rendre plus formidable. Elle envoya un ambassadeur aux cours de France et d’Angleterre, et ce fut l’homme le plus illustre de la nation qui fut chargé de la représenter dans cette double mission. Charles Zéno alla exciter le zèle des deux rois contre un conquérant qui parlait déjà, disait-on, de faire manger l’avoine à son cheval sur l’autel de Saint-Pierre. Mais la France n’était guère en état, sous le règne déplorable de Charles VI, de faire des expéditions lointaines. Le roi d’Angleterre avait des intérêts plus pressants. Quelques princes moins puissants prirent part à l'entreprise. Le comte de Nevers, fils du duc de Bourgogne, se mit à la tète des seigneurs français qui fournirent une petite armée pour marcher contre les Turcs. On y voyait l’h i lippe d’Artois, com te d’Eu, connétable de France, Jacques de Bourbon, comte de la Marche, le sire de Coucy, Guy de la Trimouille, le maréchal de Bouci-cault, et plusieurs autres. Le fils du comte de Hai-naut voulut en être ; mais son père lui dit : «Guil- laume, puisque tu as la volonté d’aller en Hongrie « et Turquie, contre gens qui jamais ne nous for-« firent, nul titre de raison tu n’as que pour la vaine « gloire de ce monde. Laisse Jean de Boulogne et nos « cousins de France faire leur entreprise, et fais la « tienne. Va plutôt en Frise, cl conquiers notre hé-« ritage. » Le roi de France, comme souverain de Gènes, fit armer une Hotte qui devait agir de concert avec celle de Venise. La flotte combinée s’élevait à quarante-quatre galères, c’était plus qu'il n’en fallait pour dominer dans les mers de l’Orient ; mais sur terre la supériorité restait aux forces ottomanes. XII. L’armée du duc de Nevers ne s’élevait guère qu’à dix mille hommes; il y avait, dit-on, mille chevaliers accompagnés d’un grand nombre de valets, et même de courtisanes. Ce fut dans cet appareil que cette noblesse brillante et présomptueuse alla se joindre aux forces que le roi de Hongrie avait rassemblées dans les plaines de Bude. Sigismond sc trouvait à la tète de cent mille hommes, parmi lesquels il y en avait soixante mille de cavalerie. 11 effectua le passage du Danube, tandis que la flotte chrétienne , sous les ordres de Thomas Moncenigo , après avoir traversé l’Arehipel et le Bosphore , sans y rencontrer les galères turques, vint prendre station dans la mer Noire, à l’embouchure de ce fleuve, pour être à portée de seconder les opérations de l’armée de terre. Elle sembla n’étre venue sur ce rivage que pour y apprendre le désastre de ses alliés. Ils s’étaient avancés rapidement, avaient emporté quelques postes l’épée à la main, et faisaient déjà le siège de Nicopolis, sur les frontières de la Valachic. Mais la licence des jeunes seigneurs favorisait l’indiscipline des soldats. Le désordre régnait dans le camp, dans les marches. On ne savait ni s’éclairer, ni se garder. Celle témérité, qui faisait mépriser les ennemis, négligeait les précautions les plus indispensables à la guerre; et les bravades allèrent jusqu’à la cruauté, car on accuse ces chevaliers d’avoir massacré des prisonniers. Sigismond, plus prudent, faisait de vains efforts pour établir quelque ordre dans le service. Ceux à qui leur expérience aurait dù inspirer plus de circonspection, donnaient l’exemple de cette dangereuse confiance. Ils s’obtinaient à soutenir que Bajazet n’oserait sc présenter devant l’armée chrétienne ; selon eux il était encore en Asie, et se garderait bien de passer le Bosphore. Ils oubliaient qu’Ildérim était le surnom de ce prince, et que ce nom signifiait l'éclair. XIII. Tandis que le gouverneur de Nicopolis sc défendait vaillamment, le sultan, par une marche rapide et habilement dérobée à la connaissance des chrétiens, était arrivé à six lieues de leur camp, ce qui est à peine concevable. On n’en fut averti que par quelques maraudeurs que ses troupes légères avaient mis en fuite; encore le maréchal de Bouci-caultles menaçail-il de leur faire couper les oreilles, pour avoir répandu l’alarme par de fausses nouvelles. Mais les Turcs parurent un instant après; celte bouillante jeunesse quitta précipitamment la table et le jeu pour courir aux armes (1396). Le roi voulut en vain les retenir; le sire de Coucy, l’amiral Jean de Vienne eurent beau représenter qu’il ne fallait pas commencer le combat en épuisant l’élite de l’armée pour dissiper les troupes lé-