LIVRE Vili. 123 bien y laisser pénétrer, et en interdire l’entrée à tous les bâtiments de guerre, même à ceux de l’empereur grec, leur allié. Leur droit fut reconnu par le soudan d’Égypte, à qui ils accordèrent la permission d’envoyer tous les ans un vaisseau sur la cóle de Circassie pour l'achat des esclaves. On a dit qu’ils retiraient annuellement de leurs douanes quatre millions de notre monnaie, cl qu’ils en abandonnaient à peine un dixième à l’empereur. Ce produit de l’impôt peut donner une idée de ce qu’était ce commerce. Les historiens rapportent un fait qui parait se lier avec les événements qui vont suivre. Ils disent qu’un des marchands génois ou vénitiens, établis à Tana, eut querelle avec un Tarlare et en reçut un soufflet qu’il vengea sur-le-champ en perçant l’agresseur de son épée. Les Tartarcs s’en prirent à toute la colonie européenne, pillèrent les comptoirs et massacrèrent plusieurs chrétiens. Les Vénitiens elles Génois convinrent de cesser toute communication avec cette côte barbare, pour faire repentir leurs ennemis de celte rupture, par l’interruption de tout commerce; mais les Vénitiens, à qui les Tartares étaient moins odieux que les Génois, ayant renoué secrètement leurs relations avec les premiers, les autres voulurent tirer vengeance de cette infidélité. On apprit à Venise, sur la fin de 1348, que tous les vaisseaux sortis de ce port, ou des diverses colonies, pour trafiquer dans la mer Noire, venaient d’être saisis par les Génois. Malgré l’état déplorable auquel la peste venait de réduire la république, on ne voulut pas laisser cette insulte impunie. XV. Une llolle de trente-cinq galères, sous le commandement de Marc Uuccinio et de Marc Moro-siui, mit à la voile pour devancer, dans l’Archipel, une escadre génoise dont on avait appris le départ. A la hauteur de Négreponl, une tempête, qui assaillit la flotte vénitienne, l’obligea de relâcher à Caristo. Elle cherchait un asile dans cette baie, et, en s’y présentant, elle vità l’ancre quatorze navires génois chargés de troupes, qui allaient renforcer la garnison de Péra (1549). Uuccinio, se hâtant de profiter de l’occasion que la fortune lui offrait, disposa son armée en ligne dans toute l’ouverture de la rade, depuis l’un des caps qui la formaient jusqu’à des ressifs qui environnaient le promontoire opposé, limit rapidement des troupes à terre, pour aller prendre poste derrière l’escadre ennemie, couper toute retraite aux équipages, et attaquer du rivage les vaisseaux qui seraient à la portée des armes de trait. Les Génois, surpris dans celte situation désavantageuse par des forces si supérieures, se préparèrent vaillamment au combat; Philippe Doria, leur général, remarqua que les Vénitiens n’avaient pas osé occuper l’intervalle rempli de ressifs; il ne pouvait se flatter de leur résister, il conçut l’espoir de leur échapper. La marée montait en ce moment, car elle n’est pas insensible dans cette mer. Les quatorze navires génois soutinrent longtemps le choc de toute la flotte vénitienne, et les décharges des troupes débarquées; tout à coup ils déployèrent leurs voiles, et, se jetant au milieu des rochers dont un côté de la rade était hérissé, ils s’avancèrent pour passer un à un entre la côte et la flotte ennemie. Cette manœuvre frappa les Vénitiens d’un tel étonnement, que quatre des bâtiments génois étaient déjà hors de la baie avant qu’on se fût opposé à leur passage. Morosini, pour couper la retraite aux autres, hasarda sa propre galère, et vint se mettre lui-même en travers des ressifs parmi lesquels ils voulaient passer. Alors il ne resta plus aux Génois aucun espoir de retraite; entourés, assaillis, ils virent successivement leurs dix vaisseaux prisa l’abordage. L’amiral vénitien, impatient de courir après les quatre galères qui s’étaient échappées, voulut eu vain rétablir l’ordre dans sa flotte et rappeler ses gens à leurs postes; ils étaient occupés à piller les bâtiments capturés; furieux de leur désobéissance, il fit mettre le feu aux vaisseaux génois, pour forcer ses matelots à revenir sur les leurs. Cinq de ses vaisseaux furent consumés, cinq restèrent au pouvoir des vainqueurs ; on ne put atteindre les quatre qui avaient déjà gagné la haute mer. Cet heureux événement excita dans Venise les transports de joie que fait éclater l’apparence d’un retour de la fortune. Quoique cette victoire ne fut pas aussi glorieuse que beaucoup d’autres qui avaient illustré les armes vénitiennes, on voulut en perpétuer le souvenir par une cérémonie annuelle, qui avait lieu le 29 août. La Hotte cependant rentra dans le port sans avoir obtenu d’autres succès, et après s’ètre présentée inutilement devant l’éra, que les généraux jugèrent à l’abri de leurs attaques. XVI. 11 étaitaiséde prévoir que la campagne prochaine serait plus difficile. On chercha à former des alliances pour susciter aux Génois de nouveaux ennemis. Dans la guerre civile de l’empire d’Orient, ils tenaient pour Paléologue. Canlacuzènc devait par conséquent entrer avec joie dans la ligue des Vénitiens; cependant il hésitait, n’osant se commettre avec ses dangereux voisins ; ceux-ci se chargèrent eux-mêmes de faire cesser son irrésolution. L’art de la balistique était porté à celte époque à un degré de perfection tel, que les Génois s avisèrent de lancer, de Péra sur Constantinople, avec leurs machines, de gros blocs de pierre. Celle in-