371 HISTOIRE DE VENISE. ont leurs carrières et leurs taureaux d’airain. » On voit que l’orateur, parmi toutes ses déclamations, n’omettait pas de toucher la corde sensible, c’est-à-dire de réveiller la jalousie qu’excitaient partout les richesses et la puissance des Vénitiens. Tous ces princes allemands , dans leurs châteaux gothiques, au milieu de leurs cours encore demi-barbares , étaient indignés d’apprendre qu’il existât une république, dont les citoyens avaient des palais de marbre et de la vaisselle d’argent, et ils croyaient faire un raisonnement politique, quand ils disaient : « De même qu'il ne convient point à des princes d’être marchands, il n’appartient point à des marchands d’être princes. » Hèlian , après avoir entraîné la diète par son éloquence, et en avoir obtenu les subsides que Maximilien sollicitait, passa à la cour du roi de Hongrie , et le détermina à entrer dans la ligue. Cette acquisition que firent les confédérés, ne les dédommagea point de la défection du pape. Le roi de Hongrie pouvait sans doute opérer une diversion très-inquiétante pour la république; mais son autorité n’était pas telle , qu’il disposât des forces de son royaume par sa seule volonté ; aussi borna-t-il ses hostilités à des menaces. II. Maximilien, aidé des subsides du corps germanique et des troupes auxiliaires que le roi de France laissait à sa disposition, commença la campagne de 1510. Il ne vint point y commander en personne ; le prince d’Anhalt était son lieutenant-général en Italie. Les Français, au nombre de quinze cents lances et de dix mille hommes de pied, étaient commandés par Chaumont d’Amboise , gouverneur du Milanais, et neveu du premier ministre. Quant aux Vénitiens, depuis la mort de Peti-gliano, ils avaient offert le commandement de leur petite armée à plusieurs généraux, notamment à André Gritti, qui avait eu la modestiede le refuser, ne se réservant que la part qu’il lui était permis de prendre au danger, en sa qualité de provéditeur; et ils avaient fini par confier cette charge à Paul Baglione, qui avait commandé dans l’armée du pape; car Jules, par une infraction manifeste de la ligue , dont il ne s’était point encore séparé, avait permis à ses officiers et aux sujets de l’Église (1) « Le demeurant de l’armée des Veniciens estoit àMon-tagnana et Lonic, et l’on a escript que tous ensemble font 6i)0 hommes d’armes à lacoustume d’Italie, 1,500 chevaulx legiers et 0,000 piétons payés, oultre les villains paysans qu’ils peuvent avoir à leur commandement.» (Recueildes lettres de Louis XII, dépêche d’André de Burgo, ambassadeur de Maximilien, t. 11!, p. 11.) « Rex habuit multa nova a domino de la Paliza quod Veneti non possunt eodem tempore defendere Paduam et Tervisium, et quod jam fu- de prendre du service chez les Vénitiens. Malgré cette ressource, l’armée de la république se réduisait à six cents hommes d’armes, quatre mille che-vau-légers, et huit mille hommes d’infanterie. On sent qu’elle ne pouvait faire qu’une guerre défensive (1). Aussi le duc de Ferrare eut-il l’occasion de reconquérir, sans obstacle, la Polésine deRovigo, les châteaux d’Este et de Montagnana, tandis que l’armée combinée de l’empereur et du roi, sortant de Vérone, obligeait les Vénitiens à se replier devant elle, à se retirer sous Padoue, et par conséquent à abandonner Vicence. Cette ville envoya des députés aux pieds du prince d’Anhalt, pour implorer sa clémence; mais ils n’en obtinrent qu’une réponse foudroyante, et malgré les sollicitations du général français, les Vicentins furent traités avec la dernière barbarie. Leur ville fut saccagée (2), quelques-uns de ces malheureux qui s’étaient cachés dans une grotte voisine, essayèrent de s’y défendre : pour les forcer dans cette retraite, on alluma un grand feu à l’ouverture par laquelle ils recevaient de l’air; il en périt, dit-on , plus de mille. L’histoire a pris soin de reprocher aux Vénitiens les dévastations qu’ils avaient commises dans le pays de Ferrare, et le grand poète que protégèrent les princes de cette maison, a voulu immortaliser le ressentiment des Ferrarais; mais la postérité , plus impartiale, doit dire que, dans cette guerre, les Vénitiens défendaient leur existence contre la France, l’Empire et l’Italie. Jamais cause ne fut plus juste, plus sacrée que la leur, et ils furent loin d’égaler les horreurs dont leurs ennemis se rendirent coupables. L’armée française entreprit d’emporter Legnago, seule place que les Vénitiens eussent recouvrée sur l’Adige : ils l’avaient entourée d’une inondation qui en rendait l’approche fort difficile. L’avant-garde de Chaumont trouva une partie de la garnison à l’extrémité de la digue, la chargea, la poursuivit, traversa les marais, et entra avec elle dans le quartier de la ville situé sur la rive gauche de l’Adige; mais les forts principaux se trouvaient de l’autre côté, et il n’était pas possible d’établir un pont sous leurs batteries. Chaumont jeta sur la rive droite quatre mille Gascons avec six pièces de ca- gerunl ex castris ipsorum plus quam tria millia equilum et pedilum. » (Ibid. p. 17.) (2) « Touchant Vicence, les gens de l’empereur sont dedans, et à leur arrivée les Allemands ont commencé de piller, tellement qu’ils sont délibérés de la raser, et vous ne pouvés croire la faute de justice, d’ordre et de police, qui est avec les gens dudit empereur; au moyen de quoy ses affaires ne peuvent aller si bien qu’ils fairoient.»(Lettrede Robertet à André de Burgo. Recueil des lettres de Louis :XII, t. I,p. 242.