LIVRE III. 47 ceignit une épée d’or, en invoquant la protection du Ciel sur son entreprise. XVIII. L es deux armées se rencontrèrent le jour de l’Ascension entre l’irano et l’arenzo en Istrie. Celle de l’empereur était composée de bâtiments que lui avaient fournis Gènes, Pise et Ancóne. Le combat était inégal, mais le vent était favorable aux Vénitiens; la victoire, vivement disputée, se décida pour eux après six heures de carnage. Le pape vit arriver dans le port quarante-huit galères de cette dotte armée pour sa perte, et le fils lui-même de son ennemi au nombre des prisonniers. On renvoya honorablement ce prince à son père, que le malheur avait rendu plus accessible à de nouvelles propositions de paix. Othon s’en était rendu porteur; Frédéric consentit à ouvrir des conférences. XIX. Cette paix intéressait toute l’Europe. Les rois de France et d’Angleterre y assistèrent par leurs ambassadeurs; tous les seigneurs, tous les prélats de l’Italie, les députés de toutes les villes liguées,accoururent pour se recommander au pape, qui leur dit avec attendrissement : « Vous savez, « mes enfants, la persécution que l’Eglise a souf-« ferte de la part de l’empereur, qui devait la pro-" léger. Vous savez que l’autorité de l’Église en a « été affaiblie, parce que les péchés demeuraient «I impunis, et les canons sans exécution; nous avons « porté la peine de la destruction des églises et des « monastères, du pillage, des incendies, des meur-« très et des crimes de toutes sortes. Dieu a permis « ces maux pendant dix-huit ans, mais enfin il a « apaisé la tempête et tourné le cœur de l’empe-« reur à demander la paix. C’est un miracle de sa ii puissance qu’un prêtre vieux et désarmé ait pu « résister à la fureur des Allemands et vaincre sans " combattre un prince si redoutable; mais c’est afin “ que tout le monde connaisse qu’il est impossible « de combattre contre Dieu. » Le congrès se tint à Venise. Alexandre fut reconnu pour pape légitime, et rétabli dans tous ses droits. Quant aux villes de Lombardie, qui avaient supporté le principal fardeau de la guerre, il n’y eut pas moyen de faire leur paix; on convint seulement pour elles d’une trêve de six ans, pendant laquelle I empereur renonça à exiger leur serment de fidélité. La ligue lombarde se trouvait composée à cette épo-que de la république de Venise, des villes de Milan, Vérone, Broscia, Bergame, Trévise, Vicencc, Pa-douc, Ferrare, Bologne, Manloue, Modène, Reggio, Iiobbio, Plaisance, Lodi, Còme, Carnesino, Rei-monte, Alexandrie, Tortone, Vcrceil, Novare, Crémone, Parme, Ravenne et Rimini. Cette trêve qui venait de leur être accordée ne devint une paix définitive que par le traité de Constance, conclu en 1183. XX. Aussitôt que le traité fut signé, l’empereur s’approcha de Venise. Six cardinaux vinrent recevoir son serment de soumission, et ensuite l’absoudre et le réconcilier avec l’Église. Le lendemain le doge, le clergé allèrent au-devant de lui et le conduisirent jusque sur la place Saint-Marc; là, le pape l'attendait assis à la porte de la basilique , revêtu de ses babils pontificaux, entouré de cardinaux et de prélats; tous les députés du congrès ajoutaient à la pompe de cette cérémonie, et le peuple de Venise jouissait du spectacle d’une paix qui était son ouvrage. L’empereur, dès qu’il aperçut le pape, se dépouilla de son manteau et vint se prosterner pour lui baiser les pieds. Alexandre, voyant à genoux devant lui le prince qui depuis vingt ans l’avait poursuivi d’asile en asile, ne considéra plus que le triomphe de I'Eglisc sur une puissance rivale, et s’oublia lui-même jusqu’à mettre son pied sur la tête de l’empereur en prononçant ces paroles d’un psaume : « Je marcherai sur l’aspic et le basilic, et je foulerai « le lion et le dragon. — C’est devant Pierre que je « m’humilie, dit Frédéric, et non devant vous. — « Devant moi comme devant Pierre, ajouta le ponte tife en appuyant. i> XXI. On a révoqué en doute la vérité de ces circonstances; elles sont rapportées par une multitude d’historiens, de prélats, de cardinaux. S’il est vrai que les auteurs contemporains de l’événement les passent sous silence, une omission n’est pas une dénégation positive, et il faut bien que le fait ait été consacré, au moins par une tradition générale, puisqu’on a pris soin d’en perpétuer le souvenir par la peinture, et par une pierre où étaient gravées les paroles que le pape adressa à l’empereur. La gloire des Vénitiens n’était nullement intéressée à accréditer celte fable, si c’en eût été une. Ceux qui la rapportent ne sont pas tous Vénitiens; il y a parmi eux des Allemands, des Français, etc.; et, si on veut absolument tirer une conclusion négative du silence des aulres historiens, il faut au moins apprécier leur véracité; or ces auteurs contemporains se réduisent à deux : Romuald, archevêque de Salcrne, qui a écrit le voyage du pape à Venise, et l’auteur anonyme des Actes d’AlexandrellI. Ils ont, il est vrai, supprimé celte circonstance; mais iîs en omettent d’aulres qu’il est plus difficile de révoquer en doute. Si on s’en rapportait à leur récit, cette paix entre l’empereur et le pape aurait été sollicitée par Frédéric, il n’y aurait point eu de bataille entre sa flotte et celle des Vénitiens, et la république n’auraitprisd’autre part dans cette affaire que d’offrir son territoire pour la tenue du congrès. Enfin il y a des écrivains qui prétendent que Frédéric n’alla jamais à Venise; mais le séjour de ce