LIVRE XXIII. 583 Le clergé de France, et trois ou quatre cardinaux italiens, formaient le concile anathématisé par le pape, et qui errait de Pise à Milan ; les évêques d’Allemagne, entrant dans les vues secrètes de l’empereur, refusèrent d’y assister. 11 n’y vint aucun prélat des autres pays de la chrétienté. Il était difficile qu’uue assemblée si peu nombreuse, formée au milieu du tumulte de la guerre, et par des prélats d’une seule nation, put se donner pour l’organe de l’église universelle, véritable régulatrice des opinions du monde chrétien. Cependant les pères, qui se disaient eux-mêmes le sel de la terre et la lumière du monde, obligés de quitter Pise en proie à la discorde, s’étaient réfugiés à Milan; là, après avoir fait citer trois fois le pape Jules II, ils rendirent, le 21 avril lol2, le décret suivant: « Au nom du père, du fils et du saint-esprit. Le « sacré concile général de Pise, légitimement as-« semblé, au nom du saint-esprit, représentant l’é-« glise universelle. « Le Seigneur a dit, par le prophète Isaïe, ôtez de « la voie de mon peuple tout ce qui peut le faire tom-« ber, et dans l’apôtre Saint Paul, retranchez le mal « du milieu de vous, car un peu de levain aigrit toute « la pâte. Puisqu’il faut donc retirer le peuple des « mains de Goliath, et le préserver delaruincdontles « Philistins le menacent,c’est-à-dire de ce délugede « crimes qui inondent l’Église dans son chef et dans « ses membres ; puisque la foi périclite, que i’Eglise « tombe en ruines, et que les gens de bien souhai-« tent qu’il s’élève un nouveau David ; le saint con-« cile ici présent s'est assemblé pour être ce David, « et arracher l’Église des mains des infidèles. Tel a « été le dessein de cette assemblée, traversée par « tant d’obstacles, attaquée par celui qui devait la « protéger; quoiqu’on ait tout employé pour enga-ii ger le souverain ponlife à rentrer dans lui-même, ii sans qu’il ait voulu rien écouter; tandis qu'il s’est ii au contraire élevé contre les décrets de ce saint « concile, menaçant ceux qui le composent d’inter-« dits, de censures et de privations de bénéfices, « qu’il a employé toutes sortes d’artifices pour s’op-« poser à l’exéculion de nos pieux desseins, pour « diviser, dissoudre, diffamer et anéantir nos trait vaux : c’est pourquoi le saint concile exhorte les « cardinaux, patriarches, archevêques, évêques, « abbés, prévôts des cathédrales et chapitre des col-« légiales, les rois, princes, ducs, marquis, comtes, « barons, universités, communautés, vicaires de la (1) On peut voir sur cela plusieurs lettres d'André de lîurgo, ambassadeur de Maximilien en France. (Recueil des lettres de Louis XII, t. 11, pages 267, 272, 278, 282.) (2) Bulle du pape contenant les articles de cette ligue. (Recueil des lettres de Louis XII, t. 111, p. 65.) Dépéche « sainte église romaine, vassaux, gouverneurs, feu-ii dataires et sujets, réguliers et séculiers, de qucl-ii que dignité, état et condition qu’ils soient, enfin « tout le peuple chrétien, à ne plus reconnaître le ii pape Jules, et défend de lui obéir à l’avenir ; puis-« qu’il est déclaré notoirement perturbateur du « concile, coutumace, auteur du schisme, incorri-« gible et endurci. » Telle fut l’issue de ce concile, qui n’ébranla point Jules II sur son trône. Revenons aux événements militaires. XII. L’empereur Maximilien prétendait faire la guerre et des conquêtes, non-seulement sans y paraître, mais même sans soudoyer une armée (1). Quand il avait obtenu des subsides du corps germanique, ou quelque prêt du roi de France, il en dissipait la plus grande partie, laissait le reste à ses ministres, pour rassembler quelques troupes, que le défaut de paye dispersait presque aussitôt, et s’avancait dans le Tyrol ou vers le Trentin; mais il perdait le temps à chasser, au lieu de venir se mettre à la tête des opérations militaires, ce qui était d’autant plus déplorable, qu’il était en état de les bien diriger (1811). Les Vénitiens auraient été trop heureux s’ils n’avaient eu en tête que cet adversaire; mais, d’une part, le pape retenait sous ses drapeaux la moitié de leur armée, et de l’autre, l’empereur leur opposait le corps français que le roi avait mis à sa disposition. L’armée de la république avait pu tenir la campagne, et conserver Vicence et la Polésine de Rovigo, tant que les forces du roi avaient été occupées du côté de Bologne; mais dès qu’elles reparurent, il fallut qu’elle se repliât sur les deux seules places qui lui offraient quelque sûreté, Trévise et Padoue. A peine les Français étaient-ils arrivés, et avaient-ils repris Vicence et quelques châteaux, qu’une nouvelle incursion des Suisses les rappela dans le Milanais. Le pape venait de resserrer, par un traité signé le 8 octobre 1811, les liens de la coalition qu’il était parvenu à former contre la France (2). Non content de disposer des troupes du roi de Naples son vassal, il avait engagé ce prince à entrer dans sa querelle, comme roi d’Arragon, et à le seconder avec toutes les forces des royaumes de Naples, d’Arragon et de Castille. On avait réservé dans cette ligue une place au roi d’Angleterre Henri VIII, qui ne tarda pas à l’accepter (5). d’André de lîurgo, ambassadeur de Maximilien en France, sur ce sujet. (Ibid. p. 80.) (3) Voyez dans le Recueil des lettres de Louis XII, t. II, p. 505, celle par laquelle le roi d’Angleterre exhorte l’empereur à ne pas s’attacher à détruire les Vénitiens et à ne point faire convoquer de concile contre le pape.