80 HISTOIRE DE VENISE. publique, tenaient à sa position insulaire. Comme Athènes, elle dominait sur la mer ; comme Athènes, elle avait vaincu le grand roi; mais elle avait un avantage de plus, celui de ne point tenir à la terre. Ceci rappelle cette réllexion de Xénophon, dont il a été fait une application si brillante : si les Athéniens étaient à la fois maîtres de la mer et insulaires, ils seraient terribles sans être vulnérables. XII. Pendant que les Latins perdaient l’empire d’Orient, il était naturel que les colonies vénitiennes essayassent de nouveaux efforts pour secouer le joug de la métropole. C’est un des inconvénients attachés au gouvernement républicain, que cette méfiance déclarée contre tous les dépositaires du pouvoir, qui le fait passer rapidement dans une multitude de mains, parmi lesquelles il y en a nécessairement de malhabiles. Le sénat de Venise changeant continuellement les gouverneurs de ses provinces, ceux-ci administraient nécessairement sans expérience:les plus capables n’osaient rien hasarder: il semblait qu’on ne voulût laisser à aucun d’eux le temps de réparer ses fautes ou d’achever ce qu’il avait heureusement commencé. De là résul-laient pour les colons de justes sujets de plainte. Quelquefois l’administrateur était tenté d’abuser d’un pouvoir qui allait lui échapper, et souvent les peuples éprouvaient la tentation non moins vive de profiler, pour ressaisir leur liberté, de l’occasion favorable que leur offrait un mauvais choix. Les villes de Pola et de Zara chassèrent le podestat vénitien, et se mirent, comme de coutume, sous la protection du roi de Hongrie. Il fallut armer une flotte et réduire ces deux places par des sièges. Les Candiotes, qui avaient un asile plus sûr dans leurs montagnes, fatiguaient sans cesse la république de leurs insurrections. Deux frères, George et Théodore Cortazzi, se mirent à la tète de celle qui éclata en 1241. Ils rassemblèrent assez de forces pour que cette révolte devînt une guerre. Le gouverneur Marin Geno y fut tué. Ses successeurs, surtout Marin Gradenigo, remportèrent quelques avantages, et ramenèrent une paix qui fut scellée du sang de quelques rebelles obscurs (1241). Un autre habitant de l’île, nommé Alexis Calerge, homme considérable par sa naissance, redoutable par sa prudence et sa ténacité, préparait, non une révolte momentanée, mais une résistance opiniâtre. Le sénat, averti de scs pratiques, soupçonna son dessein, et voulut le faire enlever. Calerge, également bien servi par ses espions, s'évada sur-le-champ, et l’insurrection éclata dans la nuit même de son évasion. Ce fut un embrasement général, une guerre qui, pendant dix-huit ans, conduite et soutenue avec des succès divers, fatigua, épuisa les troupes de la république (1243). L’Europe eut pour la première fois le spectacle d’une puissance maritime luttant contre une grande colonie. La métropole attaquait toujours les rivages avec succès. Les colons trouvaient toujours un asile assuré dans les terres. Les Vénitiens, après une première victoire, se trouvaient trop faibles pour en recueillir le fruit. Quand les Candiotes étaient victorieux à leur tour, leur ennemi leur échappait; ils ne pouvaient le suivre sur les mers, et porter la guerre dans son territoire. Ces deux peuples étaient dans l’impuissance de se détruire; ils sentirent l’inutilité de leurs efforts; on négocia, et dans la négociation le gouvernement vénitien reprit sa supériorité. Il ne lui en coûta que de gagner le chef de l’insurrection. On accorda à Calerge des honneurs, des privilèges, l’exemption de tous les impôts : on l’éleva au rang de noble vénitien; et, contre l’ordinaire de cette sorte de traité entre le maître offensé et le sujet rebelle, on ne conserva ni sentiment de vengeance, ni projet de trahison. Pour affermir cette paix, la métropole envoya dans l'île une nouvelle colonie, qui fonda la ville de la Canée, sur les ruines de l’ancienne Cydon. Le système de colonisation que les Vénitiens adoptèrent mérite de fixer l’attention ; ils divisèrent l’île en trois parts :la première pour la république, la seconde appartenait à l’Eglise, la troisième aux colons; celle-ci était divisée en 132 lots pour les cavaliers ou nobles, et 405 pour les fantassins. L’ancienne Crète pouvait reconnaître dans ce partage une imitation de la méthode des Grecs et des Romains. Les lots de terre n’étaient point égaux; aux plus considérables était attachée l’obligation de fournir, en cas de guerre, un cavalier et deux écuyers avec leurs armes et leurs chevaux ; les autres devaient fournir dix soldats à pied. Plus tard la colonie eut un gouvernement calqué sur celui de la métropole, un duc, ou vice-doge, un grand-conseil et un livre d’or, pour y inscrire les noms d’une noblesse sans pouvoir. XIII. Pendant ce tcmps-là des intérêts teiiiporels brouillaient l’empereur Frédéric II et le pape. L’empereur s’était engagé à faire le voyage d’outre-mer; déjà héritier du royaume de Naples, il avait exigé de Jean de Rrienne, son beau-père, la cession de la couronne de Jérusalem; mais, depuis sept ans, il différait d’accomplir son vœu. Grégoire IX eut beau lui écrire : «Le Seigneur nous a mis en ce monde, •i comme un chérubin armé d’un glaive tournoyant, « pour montrer à ceux qui s’égarent le chemin de « l’arbre de vie. » Il cul beau lancer l’excommunication, pour se débarrasser d’un voisin dangereux, en l’envoyant au delà des mers, Frédéric disait que si Dieu avait connu le royaume de Naples, il n’aurait pas fait choix du stérile pays de la Judée; et il