LIVRE XXIV. 393 que le sainl-siége s’était réservées, et amenait à sa suite, pour le faire couronner à Milan, le jeune Maximilien Sforce, qui avait erré dans l’Allemagne pendant la longue captivité de son père. II. L’argent du pape, répandu par les mains du cardinal, avait contribué à former, dans cette capitale et dans le sénat de Venise, un parti à l’héritier de l’ancien duc. Ainsi ce prince se voyait porté sur le trône par le pape, par les Vénitiens, qui en avaient chassé son père, et* par les Suisses, qui l’avaient trahi et livré aux Français. Mais on était loin de vouloir rétablir Sforce dans toute la splendeur de ses aïeux (1). On ne pouvait lui rendre Gènes, et on le dépouillait de Parme et de Plaisance, pour en augmenter le domaine de l’Église. Afin de le dédommager, le cardinal voulut lui donner les places qui avaient appartenu aux Vénitiens, parce qu’il entrait aussi dans les vues du pâpe d’affaiblir la puissance de la république. Lorsque Crémone capitula, il ne permit point au général vénitien d’en prendre possession; il exigea que les habitants prêtassent serment au nouveau duc. Il en fit autant à Bergame, et il en aurait été de même à Crème, si les Vénitiens n’avaient eu l’adresse de séduire le gouverneur français, Duras, et de se faire livrer la place, qui ne leur coûta que quinze mille ducats. Il est probable que la garnison en avait grand besoin, car le gouverneur avait vendu jusqu’à sa vaisselle pour la faire subsister (1 SI5). III. Les Suisses, qui se vantaient avec raison d’avoir eu la principale part à l’expulsion des Français, mettaient leurs services à très-haut prix. Ils s’étaient fait céder par le nouveau duc de Milan, généreux comme tous les princes qui ne savent pas reconquérir eux-mêmes leurs États, quatre bailliages en deçà des Alpes. Le pape leur avait envoyé des bannières bénites de sa main, et les avait décorés du titre de défenseurs de la liberté du saint-siège. C’était à la faveur de ce titre qu’ils rançonnaient le pays en vainqueurs insatiables, et que leur général, c’est-à-dire le cardinal de Sion, traitait avec une égale hauteur les vaincus, les peuples conquis et les alliés. Le premier acte par lequel il signala sa haine contre les Français, en entrant dans Milan, fut la démolition du tombeau que l’armée avait élevé au vainqueur de Ravenne. Il disposait à son gré des conquêtes, et ne permettait pas aux Vénitiens de ressaisir ce qui leur (1 ) On peut voir liante Recueil des lettres de Louis XII, t. III, p. 275, la lettre que Maximilien Sforce écrivait à Marguerite d’Autriche pour la remercier (le la protection de l’empereur; ses demandes, avec les décisions de l’empereur; la lettre que lui écrivit l’évêque de Ciiirck , p. 288, et avait appartenu, quoiqu’ils eussent fourni douze ou quinze mille hommes à son armée. C’était une position assez humiliante pour la république, de ne pouvoir se faire justice, ni l’obtenir; d’avoir contribué à la conquête, sans rentrer même dans ses anciennes possessions; de jouer un rôle subalterne, et d’attendrela part que voudraient bien lui faire, au gré de leurs caprices, des alliés auxquels il fallait même payer un subside'. Le cardinal poussait la hauteur jusqu’à l’insulte. Quelques compagnies que les Florentins avaient fournies à l’armée française, avaient reçu de lui un sauf-conduit pour rentrer dans leur patrie. Il n’était pas fâché qu’on les pillât, et on prétend même qu’il fit marcher un corps d’infanterie, pour appuyer les Vénitiens dans cette expédition, dont ils s’acquittèrent avec toute l’ardeur que donne l’avidité. Mais lorsqu’ils furent rentrés dans leur camp, il réclama ces honteuses dépouilles, prétendant qu’elles devaient appartenir aux Suisses; et, sur les représentations que hasardèrent les provéditeurs, il eut l’insolence de les faire arrêter, taxa lui-même la valeur du butin, et ne les relâcha que lorsqu’ils eurent donné caution pour la somme qu’il exigeait. Il retenait leur armée sur le bord du Tésin, sous prétexte des craintes qu’il avait du côté du Pié-mo'nt, mais en effet pour les éloigner des provinces dans la possession desquelles ils auraient voulu rentrer. Trop faibles pour lui résister, les Vénitiens prirent le parti de lui échapper. Profitant d’un moment où les Suisses étaient du côté d’Alexandrie, ils quittèrent leur camp, et se dirigèrent rapidement vers Bergame, d’où ils chassèrent les officiers du duc de Milan, puis vers lirescia, que les Français tenaient encore. Cette ville soutint un siège. Cela donna le temps aux Espagnols d’arriver. Le gouverneur ne voulut traiter qu’avec ceux-ci. Les garnisons de Legnano et de Peschiera refusèrent également de se rendre aux armes et aux offres des Vénitiens. Elles capitulèrent, mais avec les Allemands; et la république eut la mortification de voir ses alliés s’emparer de tant d’importantes places, qui lui avaient appartenu, et dont ou interdisait Tenlrée à ses troupes. IV. Une telle conduite révélait suffisamment le projet arrêté entre le pape, l’empereur, les Suisses et le roi d’Arragon, de faire descendre Venise du rang où elle s’était placée parmi les puissances de celle de Raymond de Cardone, p, 292. Autres lettres'de Maximilien Sforce à Marguerite d’Autriche, p. 503 et 316; les instructions données aux députés de Milan envoyé^vers l’empereur, p. 305; enfin une lettre de Maximilien Sforce à Marguerite d’Autriche, t. IV, p. -10.