LIVRE X. loi à la puissance que nous avons vu les deux républiques déployer dans les guerres précédentes ; mais il faut considérer que les hostilités commençaient avant que les navires de commerce eussent ramené les matelots destinés à former les équipages des grandes flottes militaires. Les Vénitiens et les Génois ne s’aperçurent mutuellement qu’à travers un orage qui soulevait des vagues furieuses. Le vent rendait la manoeuvre presque impossible; la mer battait les rochers, et menaçait d'y briser les vaisseaux. Plusieurs des capitaines, malgré leurs efforts, ne purent prendre part au combat. Les deux escadres, en s’abordant, se trouvaient réduites chacune à neuf galères; comme si la fortune, qui semblait présente à cette action, eût voulu rétablir l’égalité entre les combattants, pour rendre la lutte plus terrible, et se réserver le choix du vainqueur. Mais la pluie qui tombait par torrents interdisait aux combattants l’usage d’une partie de leurs armes : on accrochait les vaisseaux, pour pouvoir s’attaquer avec la lance; les vagues les séparaient violemment et les menaçaient d’un danger égal. Élevés et enfoncés tour-à-tour, ils semblaient se précipiter les uns sur les autres ; ils se présentaient tantôt la carène, tantôt un pont chargé de monde, dans une altitude où il était impossible do combattre. Une des galères génoises alla se briser sur la côte, cinq tombèrent au pouvoir des Vénitiens, le reste dut son salut à l’orage. La mer était si agitée que les vainqueurs ne purent amarincr qu'une seule des galères ennemies. Ils furent obligés de mettre le feu aux quatre autres et ne sauvèrent que huit cents de leurs prisonniers, parmi lesquels étaient l’amiral et dix-huit nobles génois. Tandis que la perte de cette bataille mettait le désordre dans Gènes, et occasionnait la chute du doge, les trois galères échappées à ce désastre, au lieu de chercher un refuge, tournaient la pointe de l’Italie, et entraient dans l’Adriatique, pour se venger de leur malheur sur le commerce des Vénitiens. Elles y furent suivies de quelques autres bâtiments. Cette escadre s’éleva bientôt à quatorze galères, et ensuite à vingt-deux. Lucien I)oria, qui vint en prendre le commandement, établit ses croisières pour intercepter les convois qui venaient approvisionner Venise. 11 avait un asile assuré dans le port de Zara, s'il se voyait réduit à éviter la rencontre de forces supérieures. Pendant ce temps, les Vénitiens attaquaient les Génois sur un autre point, et s’effor-çaient de les expulser de l’ile de Chypre. Le roi Lusignan, pour recouvrer sa capitale, avait sollicité l’alliance et les secours du seigneur de Milan. Cinq vaisseaux vénitiens, qui lui amenaient Valentine Visconti, sa fiancée, forcèrent la passe du port de Famagouste, y brûlèrent quelques bâtiments génois; mais l’assaut donné à la place fut repoussé, et l’escadre, rentrée dans l’Adriatique, vint se ranger sous les ordres de Victor Pisani, qui s’y trouvait à la tète de trente et quelques galères. IV. Ce fut à cette époque que Charles Zéno fut rappelé de l’armée qu’il commandait dans le Tré-visan pour servir sur la flotte. Pisani le détacha avec huit galères, et avec la mission d’opérer une diversion dans d’autres mers, tandis que lui-même, avec vingt-cinq voiles qui lui restaient, se portait sur les côtes de la Dalmatie, pour s’y emparer de quelque port où il pût trouver un refuge en cas de nécessité (1378). Le premier qu’il attaqua fut celui de Cattaro. Trois assauts donnés coup sur coup l’en rendirent maître. Instruit que dix-sept galères arrivaient, pour renforcer l’armée génoise dans l’Adriatique, il lit voile vers l’extrémité du golfe pour aller au devant de cette escadre, l’aperçut, mais sans être à portée de l’attaquer. N’ayant pu empêcher cette jonction, il revint sur la côte de Dalmatie pour y continuer ses opérations, emporta, l’épée à la main, la ville de Sebenigo, entre Cattaro et Zara. A peine avait-il fait cette conquête, duc à la promptitude de ses résolutions et à la vigueur de ses attaques, qu’il apprit qu’une partie de la flotte génoise était dans le port de Trau, où elle attendait le retour d’une escadre détachée. Le jour même il se présenta devant cette place, située dans une petite Ile artificielle, entre l’île de Iiuo, à laquelle elle tient par un pont de pierre, et le continent, dont elle n’est séparée que par un canal fort étroit. Il voulut forcer l’une des passes, mais elle était comblée de manière à n’être accessible que pour les petits bateaux. Il lit le tour de l’île, pour tenter l’autre passage. Il le trouva défendu par une forte estacade, au milieu de laquelle les Génois avaient élevé une tour. Cette île était leur place de sûreté; ils s’y étaient fortifiés, par mer et par terre, avec une admirable diligence. Le général vénitien débarqua scs troupes, lit commencer le siège ; mais il reconnut bientôt qu’il y consumerait ses forces inutilement, et, se décidant à abandonner cette entreprise, il remonta la côte, s’empara de l’île d’Arbo, et canonna en passant la ville de Zara. Ce ne pouvait être avec un grand effet; l’artillerie des vaisseaux n’était pas encore assez puissante pour réduire les villes fortiliées. Là il reçut l’ordre de retourner devant Trau, et de faire les derniers efforts pour emporter cette place. Le sénat voyait avec regret qu’on eut manque l’occasion de détruire la flotte de Gênes, et