LIVRE Vili. 127 lires. Les alliés en avaient perdu le double : quatorze vaisseaux vénitiens, dixarragonais et les deux grecs qui n’avaient pas pris la fuite, avaient été pris, brûlés ou submergés. Les arragonais avaient fait des prodiges de valeur, l’onsio de Santa Paz, leur général, était au nombre des morts, et parmi les Vénitiens on regrettait Pancrace Justiniani, Thomas Gradenigo, Élienne Conlarini, Jean Sténo et Benoit Bembo. Les Génois avaient acheté la victoire par des torrents de sang patricien ; car 011 dit qu’ils perdirent sept cents nobles dans cette terrible bataille. Pisarii fit voile le même jour pour sortir des Dardanelles, laissant à peu près deux mille prisonniers au vainqueur, qui, maître désormais de cette mer où il avait si fièrement combattu, obligea bientôt Cantacuzène à se détacher de la triple alliance, et à exclure les Vénitiens de tout commerce dans ses ports. Séparées après un combat si sanglant, les flottes des deux nations tournèrent leurs forces contre les vaisseaux isolés qui s’étaient hasardés sur les mers. Tandis que l’amiral vénitien infestait l’Archipel, des galères génoises pillaient tout ce qu’elles rencontraient dans l’Adriatique. La multitude de blessés que Pisani débarqua dans l’Ile de Candie y occasionna une maladie contagieuse. Les Génois, qui vinrent attaquer cette colonie, contractèrent le mal, et, dans le trajet de la Canée en Italie, ils eurent à jeter quinze cents cadavres à la mer. XVIII. Doria avait ramené sa flotte à Gènes ; Pi-sani et Caprario, nouvel amiral des Arragonais, résolurent d’aller la combattre de nouveau à la vue de son propre port. Les Génois, qui ne les croyaient pas si près d’eux, sortirent sous la conduite de (irimaldi, qui avait à ses ordres cinquante-deux galères. Ils aperçurent vers le cap de Cagliari vingt-deux voiles; c’était l’escadre d’Arragon, dans laquelle il y avait trois grands vaisseaux portant chacun quatre cents hommes : la flotte de Venise s'était tenue hors de la vue des Génois pour les attirer au combat. Grimaldi s'élança sur les Espagnols qu’il croyait avoir surpris. Ceux-ci reçurent la bataille sans hésiter, et à peine était-elle engagée, qu’une quarantaine de bâtiments vénitiens tournèrent le cap, se montrèrent, et fondirent sur l’armée génoise aux prises avec les Catalans. Les ennemis firent de vains efforts pour se dégager. Les Vénitiens sautèrent à l’abordage, trente et une galères tombèrent en leur pouvoir, avec quatre mille cinq cents prisonniers; plusieurs autres furent détruites. C’était célébrer glorieusement l’anniversaire de la bataille de Caristo, et réparer la défaite des Dardanelles; mais l’animosité des vainqueurs déshonora la victoire. Il n’est que trop attesté qu’ils eurent l'infamie de jeter leurs prisonniers à la mer. Quel- ques-uns des historiens qui rapportent ce combat disent que des deux côtés 011 avait enchaîné les galères les unes aux autres, en en laissant seulement quelques-unes libres pour voltiger sur les ailes. La fortune de Gènes venait d’être changée en un instant. Scs prospérités s’étaient évanouies, et avaient fait place à un deuil universel. La consternation des Génois fut si grande, quand ils virent de toute cette belle flotte une seule galère, celle de l’amiral, rentrer dans le port, qu’ils désespérèrent de leur liberté ; mais ils ne voulurent pas du moins renoncer à la vengeance. XIX. A cette époque la couleuvre des Visconti, comme disent les historiens italiens, engloutissait tous les peuples du nord de l’Italie. Les Génois, par une de ces résolutions précipitées, que conseille le désespoir et qu’amène la discorde intérieure, cherchèrent leur salut dans la servitude. Ce peuple si impatient de toute espèce de joug, se donna à Jean Visconti, archevêque de Milan, qui régnait alors sur la Lombardiect sur une partie du Piémont. Celui-ci, empressé de satisfaire la passion d’un peuple qui s’était donné à lui, lira du trésor de Milan toutes les sommes nécessaires pour l’armement d’une nouvelle flotte. Cependant, trop prudent pour partager l’animosité des Génois contre les Vénitiens, qui déjà s’étaient rendus redoutables sur terre comme sur mer, il envoya offrir la paix à la république, en demandant que, dans tous les cas, ses anciens États fussent considérés comme neutres. Le négociateur de Visconti était l’homme le plus célèbre de l’Italie. C’était le poète Pétrarque, à qui nous devons encore plus pour la part qu’il a eue à la renaissance des lettres, que pour les beaux vers qu’il nous a laissés. Pétrarque avait déjà des relations littéraires avec Dandolo; mais il traita cette négociation en rhéteur, et le doge, en admirant son éloquence, rejeta scs propositions. XX. La république déclara la guerre à Visconti. Tout à coup quelques galères génoises se montrèrent dans le golfe, pillèrent les îles de Faro et de Curzola, ravagèrent les côtes de la Dalmatie et de l’Istrie, et échappèrent par un prompt départ, à l’escadre qu’on envoyait à leur poursuite (1334). Pisani eut ordre de mettre à la voile. Il rassembla trente vaisseaux, et alla croiser dans la mer de Gênes. Pagan Doria avait trente-trois galères. Il ne voulut pas que le sort de sa patrie fût commis une seconde fois au hasard d’une bataille ; il manœuvra de manière à éviter l’ennemi, et arriva dans la mer de Venise, pendant que son rival était encore sur les côtes de Sardaigne. L’apparition inattendue d’une armée considéra-