LIVRE IX. 1515 Les partisans de la paix répondaient avec beaucoup de gravité : « La prudence de ce gouverne-« ment a surtout éclaté en ce que, dans toutesses « délibérations, il a pris conseil, non des passions, « mais des circonstances. Les conditions sont dures, ii mais elles sont proposées dans un temps où une « guerre malheureuse contre les Génois vient de « ruiner notre marine. Vous vous êtes vus n’ayant « pas quatre galères pour repousser quelques cor-« saires, qui venaient nous insulter dans notre golfe; « il a fallu que d’opulents citadins armassent, pour h notre défense, des vaisseaux destinés à leur com-« merce. Mais cette ressource inéme ne nous reste «plus; les fortunes privées, non moins épuisées « que la fortune publique, ne peuvent échapper à « une destruction totale que par les travaux de la « paix. Sans doute il est pénible de céder de si « belles possessions, de renoncer à des titres si glo-« rieusement acquis. Mais que céderons-nous? ce « que l’ennemi tient déjà. Ou vous dit que, si vous « cédez la Dalmatie, vous aurez à craindre pour « l’Istrie. Vraiment voilà une grande prévoyance; « 011 craint pour l’Istrie, on a bien raison ; l’ennemi « l’occupe déjà; aussi ceux qui pensent qu’un dan-« ger à venir ne doit pas faire oublier un danger « présent, vous disent-ils que rien n’est plus urgent « que d’obtenir la restitution de cette province. « Elle vous est offerte; malheureusement on ne vous « offre pas en même temps la Dalmatie. Pour cori-« cevoir raisonnablement l’espérance de les rccou-« vrer l’une et l’autre, il faut établir, ou que nos « affaires peuvent s’améliorer, ou que celles du roi « peuvent devenir mauvaises. Or, quels moyens « avons-nous d’affaiblir le roi de Hongrie? Aucun. « Quels moyens d’améliorer notre situation, de re-« couvrer nos forces? Un seul : la paix, le com-« merce. «Toute notre application doit être de conserver « la république, de faire cesser pour elle un danger « imminent. Qui peut nous assurer que les Génois « veuillent s’en tenir à une paix qu’ils nous ont fait « acheter si cher? Qu’ils ne prennent pas, pour nous « attaquer de nouveau, lemonient où nous sommes « engagés dans une guerre désastreuse? et alors «quel espoir de salut nous resterait-il? On dit « qu’il ne faut pas céder ces provinces; mais qu’on « nous dise donc les moyens de les reprendre. On “ dit que l’ennemi m’a point gagné de bataille : re-« marquez que c’est parce que vous n’avez point « d’armée. Si la petite troupe de Justiniani peut se « présenter devant les Hongrois, il faut lui envoyer « l’ordre de combattre. Mais si vous êtes convaincus « qu’elle n’a conservé jusqu’ici son existence qu’en « évitant une action ; si vous avez la certitude « qu’une défaite vous mettrait entièrement à la « merci du vainqueur et entraînerait la perte de vos « Étals de terre-ferme, en même temps que le sa-« crilice de la Dalmatie, vous recommanderez à « votre général de ne pas compromettre ce fantôme « d’armée, dont l’apparence vous donne encore la « faculté de négocier. « On conçoit qu’on se détermine à rejeter une « paix humiliante; mais il serait absurde de vouloir « refuser également et la paix et le combat. Cette « paix que vous pouvez faire aujourd’hui, qui ose « rait vous répondre que vous pourrez l’obtenir « demain? La gloire de ce sénat n’est pas d’avoir « toujours été heureux, mais de s’èlre montré con-« stainment sage; il sait que, dans toutes les affaires, « il faut apprécier les circonstances. Les voir telles « qu’on les désire, et non pas telles qu’elles sont, « est une faiblesse. Rien n’est perdu si nous conscrit vons la république, si nous lui donnons le temps « de reprendre ses forces, et si la sagesse lui prépare « les moyens de réparer ses pertes. » V. Ces raisons prévalurent, et le traité fut signé le 18 février 1558. 11 y fut stipulé que le doge cesserait de prendre le titre de duc de Dalmatie et de Croatie; que la seigneurie n’enverrait point de consuls dans les Étals du roi ; que les sujets de la république ne pourraient pas avoir des propriétés immobilières à Zara, et que ceux qui en avaient seraient tenus de les vendre ; que toutes les possessions de la seigneurie occupées par les troupes du roi, lant dans l’Is-trie qu’en Italie, seraient évacuées, et qu’enfin s’il arrivait que le roi eût à soutenir une guerre maritime, la seigneurie devrait lui fournir, aussitôt qu’elle en serait requise, une Hotte de vingt-quatre galères, dont il paierait l'armement et l’entretien (1558). On convint, en cas de contravention aux conditions de celte paix, de prendre le pape pour juge, et de soumettre l’infracteur à l’excommunication et à l’interdit. La perte de cette grande colonie donnait plus d’importance aux acquisitions que la république avait faites dernièrement dans le continent de l’Italie. On avait conquis la marche Trévisane sur le seigneur de Vérone; cette province avait été cédée par un traité, mais le droit antérieur du seigneur de Vérone lui-même n’était pas bien établi. Pour légitimer leur conquête, les Vénitiens imaginèrent de demander l’investiture de cette province à l’empereur, qui ne l’avait jamais possédée. C’était déjà un spectacle assez remarquable que la fière république de Venise sollicitant l’investiture d’une province déjà conquise par ses armes, et consentant à ne la tenir qu’à titre de fief de l’empire. L’humiliation fut bien plus grande, lorsque l’ern-