¿02 HISTOIRE DE VENISE. secrètement se déclarèrent au dixième tour de scrutin, et il eut vingt-six voix. Pour la proclamation de ce nouveau doge, on adopta une formule nouvelle, qui acheva d’effacer jusqu’au souvenir de la part que le peuple avait eue autrefois dans les élections. La formule usitée jus-ques alors avait été celle-ci : «Nous avons élu un « tel pour doge, s’il vous est agréable. » Le grand-chancelier, François de la Séga, demanda : « El si « le peuple disait Non, que feriez-vous? » En conséquence il fut arrêté qu’on se bornerait à dire : « Nous avons élu doge un tel. » Les services qu’Albin Badouer avait rendus au nouveau doge dans le conclave furent récompensés par son élévation à la dignité de procurateur, que l’élection de Foscari faisait vaquer. Cette élection ranima l’espérance que les Florentins avaient conçue d’attirer les Vénitiens dans leur ligue contre le duc de Milan. Ils réitérèrent leurs ambassades, mais ce fut sans obtenir plus de succès, jusqu’au commencement de 1426. La seigneurie était liée par un traité avec Philippe-Marie Visconti. Cette considération n’eùt été que d’une médiocre importance sans les autres affaires qui occupaient la république. Dans son intérieur elle éprouvait une calamité qui l’avait déjà ravagée bien des fois. Dans l’intervalle du mois d’aoùt au mois de décembre 1423, la peste moissonna quinze mille trois cents personnes. Ce fut alors qu’on s’occupa enfin de la construction d’un lazaret pour prévenir le retour de ce fléau. Du côté de l’Orient, on avait des différends avec les despotes de Janina et de Murée, mais on parvint à les terminer par des traités. Vil. L’empereur grec, Jean Paléologue, toujours plus incapable d’arrêter les progrès des Turcs, vendait pièce à pièce des États qu’il ne pouvait défendre. Voyant le sultan Amurat maître d’une partie de la Macédoine, il imagina de lui opposer les Vénitiens, en cédant à ceux-ci la ville de Salonique, place forte, défendue par quarante tours, peuplée de quarante milles âmes, importante parson commerce, située sur l’un des principaux golfes de l'Archipel, et à portéed’envoycr des secours à Négre-pont. La république fit partir en même temps un corps de troupes, pour aller prendre possession de ce port, et un ambassadeur, pour expliquer au sultan que cette occupation d’une place, sur laquelle il avait des vues, n’élait point un acted’hostilité(1433). Amurat, loin de recevoir le ministre vénitien, le fit arrêter et s'avança pour faire le siège de Salonique; mais une flotte commandée par Pierre Loredan vint ravitailler et secourir la place. Les Turcs, après s'être consumés en vains efforts, se virent obligés de lever le siège. Ils se jetèrent sur la Morée, dont ils saccagèrent quelques places. Les Vénitiens restèrent en possession de leur nouvelle acquisition, et l’empereur grec plus exposé que jamais au ressentiment du sultan. Hais la république ne pouvait espérer de rentrer dans les bonnes grâces d’Amurat. Ce fut en vain qu’on envoya de nouveaux ambassadeurs pour renouer les négociations avec lui. Sa première question était toujours : « As-tu des pouvoirs pour me « rendre ma ville de Salonique?» et sur la réponse négative, il faisait jeter le ministre en prison. Cet état des choses dura cinq ans, c’est-à-dire depuis le 19 septembre 1423 jusqu’en 1429, que les Turcs surprirent cette place et la saccagèrent horriblement; après quoi le sultan voulut bien entendre des propositions de paix, et on convint que les relations commerciales seraient rétablies sur le même pied qu’auparavant. Cette défense de Salonique avait coûté à la république plus de sept cent mille ducats. VIII. On était au plus fort de cette brouillerie, lorsqu’un orage formé à la cour de Milan jeta à Venise un de ces hommes qui semblent faits pour être un exemple des caprices de la fortune, et dont la destinée est d’influer sur le sort des États. François Buffo, fils d’un paysan de Carmagnole, avait d’abord servi comme soldat dans les troupes du duc de Milan. Ses exploits avaient attiré sur lui l’attention et l’admiration. On le désignait par le nom de sa ville natale. Le duc l’avança rapidement, et trouva en lui ^ne capacité égale à son courage. Le nom de Carmagnole devint si célèbre, que le prince ne crut pas déshonorer le sien en l’y associant ; et François Carmagnole-Visconti devint, par son mariage avec une fille naturelle du duc, gendre de son maître, après avoir contribué à l’établir sur le trône (1429). Cette haute faveur accordée au mérite prouvait que le duc I’hilippe-Marie n'était point ingrat; mais il n’était pas non plus inaccessible aux soupçons, ni même à la jalousie. Le souvenir des services qu’il avait reçus de son général lui devint importun. Les courtisans ne manquèrent pas d’entretenir soigneusement une inimitié naissante , qui devait les délivrer d’un favori aussi supérieur par son mérite qu’odieux par les grâces dont il était comblé. On veut, bien tolérer un favori quand c’est le hasard qui l’a désigné : les faveurs du hasard n’humilient personne, elles encouragent au contraire les espérances de tout le monde ; mais la gloire du mérite a quelque chose de désespérant pour la médiocrité. Bientôt Carmagnole eut de fréquentes occasions de sentir que son crédit, que le souvenir même de ses services n’existait plus. Il osa s’en plaindre, et quand il voulut se présenter au duc pour obtenir une explication, ou au moins la permission de se justifier, il ne put parvenir à le voir. Alors, sentant que sa