LIVRE XVI. 237 de Sforce : il releva le suppliant, et lui dit qu’il s’étonnait qu’un homme grave eût parlé si inconsidérément. « Quant à moi, ajouta-t-il, je n’ai point à « me justifier de ce qu’on m’impute ; j'ignore ce qui « s’est passé entre Sforce mon père et madame Lu-ii cia ma mère; il ne m’en revient ni louange, ni h blâme. Je sais seulement que, dans ce qui a dé-ii pendu de moi, je me suis conduit de manière à ne « pas encourir des mépris; vous et votre sénat vous « pouvez en juger. Rassurez-vous, et soyez à l’ave-« nir plus modeste, plus réservé dans vos paroles •t et plus sage dans vos entreprises. » VIL Le général vénitien avait opéré sa retraite sur Brcscia. Sforce l’y suivit et allait l’y assiéger. La république venait de perdre coup sur coup sa flotte et son armée. Elle entama aussitôt deux négociations contraires; l’une avec les Milanais, qui ne pouvaient voir dans les victoires de Sforce que des sujets d’inquiétude; l’autre avec Sforce lui-mème, par l’entremise du provéditeur Fascal Malipier, alors son prisonnier. L’alliance des premiers était plus sûre; celle du second plus profilabie. Les Vénitiens, qui venaient d’ètre vaincus, n’étaient pas en position d’imposer des sacrifices aux Milanais, tandis qu'avec Sforce 011 commençait par prendre pour base du traité, le partage des Etats de la nouvelle république. Le général des Milanais, soit qu’il craignit d’ètre prévenu et abandonné par eux, soit qu’il fût las de servir ceux dont il aspirait à devenir le maître, signa sa paix séparée, le 19 octobre. Les conditions étaient qu’il restituerait aux Vénitiens toutes les conquêtes qu’il avait faites dans les provinces de Bergame et de Brescia, cl qu’il leur céderait toule la province de Crème. De son côté la république le reconnaissait pour souverain de tous les autres États de Philippe-Marie Visconti, et lui en garantissait la possession, Pour l’aider à les soumettre, elle lui fournissait un corps de six mille hommes et un subside de treize mille ducats d’or par mois, jusqu’à la conquête de Milan (1448). Un a admiré le bonheur de la république d’avoir, après la destruction de sa flotte et de son armée, signé un traité par lequel elle acquérait une province. Ce bonheur fut dû à la jalousie qui régnait entre ses ennemis. La réconciliation de Sforce avec les Véniliens leur faisait encourir l’inimitié de l’un des prétendants au Irône de Milan, du roi de Naples Alphonse. Il déclara la guerre à la république et chassa tous les Véniliens de ses Étals. Une flotte de quarante-cinq galères, conduite par Louis Lorcdan, se présenta bientôt devant Messine, pour tirer vengeance de cette injure. Elle y brûla l’arsenal et douze galères siciliennes, en fil autant à Syracuse, et obligea Alphonse à demander la paix. Dans le nord de l’Italie, la campagne de 1449 fut employée par les deux parties contractantes à se metlre en possession des pays qu’elles s’étaient cédés mutuellement. Les Vénitiens rentrèrent dans toutes les places des provinces de Bergame et de Brescia, occupèrent le Crèmasque et mirent le siège devant la capitale, qui était disposée à se défendre longtemps. Sforce, secondé par l’armée de la république, soumit rapidement Novare, Tortone, l’arme, Vige-vano, I’izzighitone et Lodi. Il assiégeait Monza et ravageait les environs de Milan. Cette capitale, trop grande pour être assiégée par une armée comme celle de Sforce, voyait se resserrer de jour en jour le territoire d’où elle pouvait tirer ses subsistances. Les Milanais, irrités d’être traités en rebelles par un général qui, avant sa défection, était à leur solde, et déterminés à défendre leur liberté, ne désespérèrent point de dissoudre la ligue de leurs ennemis. Un émissaire secret fut envoyé à Venise. VIII. Contents de leur partage, les Vénitiens ne demandaient pas mieux que de diminuer celui de Sforce, et de faire du Milanais deux États au lieu d’un. La parole qu’ils avaient donnée, la garantie qu’ils avaient promise, n’étaient point ce qui les arrêtait; mais ils ne voulaient pas lever le masque avant de s’être mis en possession de la ville de Crème, dont la prise aurait éprouvé de plus grandes difficultés, s’ils avaient eu Sforce pour ennemi. Enfin cette place capitula le li> septembre; on dit même qu’elle fut livrée par trahison. Alors les Vénitiens, maîtres de tout ce qui leur avait été promis par le traité, signifièrent à leur allié qu’il fallait qu’il consentit à la réduction de son partage; que la ville de Milan resterait république et aurait, à l’exception de Pavie, tout le pays situé entre l’Adda, le Tésin, le Pô et les Alpes; que, pour lui, sa part se composerait du reste, c’est-à-dire de Parme, Plaisance, Pavie, Crémone, Alexandrie, Tortone et Novare ; que la seigneurie, pour soutenir cet arrangement, avait fait alliance avec le pape, le roi de Naples, le duc de Savoie et les Florentins; qu’enfin on lui accordait un délai de trois semaines pour se décider. Cette notification si impérieuse d’un accord fait par ses alliés, à son insu, à son détriment; l’ingra-tifude de ce gouvernement, à qui il avait accordé la paix et une province, après avoir détruit scs armées; tant de hauteur et de mauvaise foi devait blesser profondément une ame comme la sienne. Il chercha d’abord à ramener les Vénitiens à la justice qu’ils lui devaient; puis il leur offrit de les dispenser du subside promis jusqu’à la conquête de Milan:il consentait à ce qu’ils retirassent leurs troupes de