LIVRE XX. Fornoue. Plusieurs places se déclarèrent pour lui. Les Vénitiens, accourus sur les côtes avec trente vaisseaux, se présentèrent devant Monopoli. Cette ville, qu’ils venaient conquérir pour le roi de Na-ples, lui fut rendue, mais dépeuplée; on put à peine sauver la vie à une partie des femmes et des enfants réfugiés au pied des autels. Pulignano, Mola, et quelques autres places maritimes, qui avaient encore garnison française, se rendirent successivement. Ferdinand achetait de la république un secours de trois mille chevaux, en lui remettant les villes de Trani, d’Otrante et de Brindes, pour sûreté du remboursement des dépenses que l’entretien de cette troupe occasionnait. La garnison française qui tenait encore dans Tarente conçut le projet de livrer cette ville aux Vénitiens, c’est-à-dire apparemment de la leur vendre. L’ambitieux sénat, affectant de bonnes intentions et un vif intérêt pour les Tarentins, craignant qu’ils ne se donnassent aux Turcs, voulant assurer le salut de l’Italie et de la chrétienté, ne se montra pas moins empressé de recevoir une ville du royaume, des mains des ennemis du roi que du roi lui-mème. 11 avait déjà délibéré d’accepter la cession de celle-ci ; mais tous les princes de la ligue en furent avertis et y mirent opposition. Le royaume était perdu pour Charles VIII; les Vénitiens occupaient les côtes; les Espagnols, la révolte et la défection faisaient des progrès dans l'intérieur. Le peu de Français qui restaient se virent réduits à capituler, et à acheter la permission de se retirer par le sacrifice de toute leur artillerie. Ceux qui tenaient encore quelques places dans le Piémont, étaient bloqués par l’armée combinée de Milan et de Venise. Le pape ordonnait au roi d’évacuer l’Italie, et défendait aux Vénitiens de se prêter à aucun accommodement. Le duc d’Orléans, assiégé dans Novarre, avait perdu la moitié de sa garnison, et était pressé par la famine; il n’y avait plus ni moyen de se défendre, ni espoir d’étre secouru. La reddition de cette ville fut l’occasion d’un traité. Novarre fut remise au duc de Milan, qui fit sa paix avec le roi, sans s’occuper des intérêts des Vénitiens, et même sans observer, à leur égard, tous les ménagements que leur devait un voisin et un allié. Le mécontentement de ceux-ci éclata au point que l’un de leurs officiers, Bernardin Contarini, chef de la cavalerie albanaise, dit qu’il savait un moyen de n’avoir plus à redouter les infidélités du duc; et, lorsqu’on lui demanda de s’expliquer, il offrit de fendre la tète à Louis Sforce dans la première conférence. C’était une proposition digne du chef d’une horde j barbare. Le gouvernement vénitien, à qui les pro- i véditcurs envoyèrent demander des ordres sur cette proposition, ne jugea pas que les maximes d'État s’étendissent jusqu’à permettre un crime commis ouvertement. Cette brouillcrie, qui commençait cnlre le duc de Milan et la république, détermina la seigneurie à former d’autres liaisons. Elle appuya les Pisans, qui voulaient échapper à la domination des Florentins, en leur ■fournissant de l’argent, des munitions et des troupes. Pendant trois ans, les Vénitiens soutinrent celte ville, moins par intérêt pour elle que par inimitié pour Florence, sa rivale. Il leur en coûta 800,000 ducals. Pise, désespérant de sa liberté, offrit de se donner à Saint-Marc ; mais la république ne crul pas pouvoir faire une acquisition non contiguë à ses Étals, fort difficile à conserver, et qui aurait mis son ambition trop à découvert. Elle se borna à prendre Pise sous sa protection. Quelque temps après, les circonstances appelèrent ailleurs l'attention du sénat. Le sort des l'isans fut mis en arbitrage, et, abandonnés de leurs protecteurs, ils se virent condamnés à rentrer sous la domination des Florentins. Cependant Charles VIII, au moment où il quittait l’Italie, avait reçu des renforts suffisants pour s’y maintenir, et annonçait le projet de recommencer la conquête de Naples. Tout était croyable delà part d’une cour qui inonlrait une si grande légèreté dans la conduite des affaires. Le duc de Milan et les Vénitiens, alarmés, offrirent un subside à l’empereur, pour l’engager à venir au secours de l’Italie. Maximilien, à qui le mauvais état de ses finances ne permit jamais de refuser une proposition d’argent, prit l’engagement qu’on sollicitait, en acceptant un à-compte sur le subside. La république empruntait d’une main pour prêter de l’autre. Son crédit s’en ressentait : les effets publics étaient tombés à 60 pour 0/0. Pendant qu’on était dans les appréhensions de cette nouvelle invasion, un seigneur de Frioul, nommé Tristan, comte de Savorgnano, offrit, dit-on, au conseil des Dix de se charger d’empoisonner le roi de France. Il faut dire encore à la gloire du gouvernement vénitien, qu’il rejeta hautement cette odieuse proposition ; et cet exemple mérite d’autant plus d’êlre remarqué, que, dans ce siècle, plusieurs princes, et notamment le chef de PÉglise, s’étaient montrés fort au dessus de pareils scrupules. Quelque temps a près, la mort de Charles VIII, qui fut incontestablement la suite d’un accident, délivra les Vénitiens de toutes les inquiétudes que l’ambition de ce prince leur avait inspirées. Ils ne devaient pas s’attendre à en éprouver de bien plus vives sous Louis XII, son successeur.