LIVRE XXII. 3(il archers de Candie ou de la Morée, enfin beaucoup de milices. C’était une armée de trente mille hommes de pied et de quinze à dix-huit mille chevaux. Elle était pourvue de tout l’attirail nécessaire ; car Venise fut toujours très-diligente et très-soigneuse à cet égard, ce qui lui donna souvent un grand avantage sur des ennemis moins riches qu’elle ou plus négligents. Elle avait armé en outreune grande quantité de bâtiments, pour garder ses côtes, attaquer celles de l’ennemi, et seconder les opérations de son armée sur le bord des rivières. Une flottille fut envoyée dans le lac de Garde. Il fallut détacher une partie de cette armée pour garder les ports de la Pouille, les places de la Romagne, et les passages du Frioul. Le reste se prépara à défendre les frontières de la république, du côté du Milanais. Celte armée avait pour général le comte I’etigliano, de la maison des Ursins, etsous lui, Alviane, déjà honoré du triomphe pour les succès que, dans les guerres précédentes, il avait remportés sur les Allemands. I.es patriciens qui remplissaient auprès de cette année les fonctions de provéditeurs, étaient George Cornaro et ce même André Gritti, qui, l’année d’auparavant , avait déterminé la république à préférer l’alliance de la France à celle de l’empereur. On était prêt de part et d’autre au mois d’avril 1309. Louis XII avait promis d’attaquer le premier de ce mois. Il ne se mil cependant en mouvement que le quinze. Le jour même que les hostilités allaient commencer, on vil arriver à Venise un héraut d’armes de France, pour déclarer officiellement la guerre, suivant l’usage qui s’observait encore alors. Je m’abstiens de rapporter la formule de cette notification, dans laquelle le roi exposait sesgriefs contre la république ; ils se réduisaient à la trêve conclue séparément avec l’empereur et à l’occupation de la Komagne. La réponse du doge disculpait la république de ces deux griefs , et se terminait ainsi : « Nous n’aurions jamais cru qu’uu si grand prince 11 eut prêté l’oreille aux discours empoisonnés d’un « pape qu’il devrait mieux connaître, et aux insi-" nuations d’un autre prêtre que nous nous abste-« nonsde nommer. Pour leur complaire, il se dé-' elare l’ennemi d’une république qui lui a rendu « de si grands services. Nous lâcherons de nous dé-11 fendre, et de lui prouver qu’il nous a manqué de " foi. Dieu jugera entre nous. Père héraut, et 11 vous trompette , vous avez entendu ce que nous avions à vous dire. Rapportez-le à votre maître; " sortez. » I.e même jour le pape fulmina sa bulle contre les Vénitiens; il leur ordonnait de restituer, dans un délai de vingt-quatre jours, tous les domaines qu’ils avaient usurpés et les fruits qu’ils en avaient perçus, sous peine de voir leur territoire mis en interdit, leurs biens livrés au premier occupant, et leurs personnes réduites en servitude, comme coupables de lèse-majesté divine et humaine. Toutes ces menaces n’étaient que de vaines formules, objet de mépris, même pour le clergé. Cependant le sénat ne dédaigna point d’appeler de la bulle du papeau futur concile, ce qui mit lecomble à l’emportement de Jules 11. VII. Le général en second de l’armée vénitienne avait proposé de prendre l’offensive, et de se jeter dans le Milanais avant l’arrivée des troupes françaises. Ce projet hardi offrait deux avantages , l’un , de profiter du moment où les ennemis n’étaient pas encore réunis, pour les attaquer , l’autre, d’établir le théâtre de la guerre sur leur territoire. Mais aussi quand on se porte ainsi de soi-même dans le pays ennemi, on n’a pointde positions fortifiées autour de soi, on n’occupe pas les places, on est obligé de tenir la campagne, et on n’est pas le maître de refuser une bataille. Ces inconvénients furent opposés au projet d’Al-viane par le comte l’etigliano, commandant en chef. Il représenta qu’infailliblement les Français, quelques jours après que le Milanais aurait été envahi, se présenteraient en masse, pour livrer bataille; qu’il ne serait peut-être pas possible de se retirer sans combattre ; que cette retraite, opérée au commencement de la campagne , passerait pour un échec; et que, si on éprouvait une défaite, tout le territoire de la république allait se trouver sans défense. Il ne s’agissait pas, selon lui, de faire des conquêtes, mais de couvrir le pays vénitien, de ménager l’armée et de faire traîner la guerre en longueur, pour tromper la coalition dans ses espérances. En conséquence, il proposait de prendre une position inattaquable sur l’Oglio. Cet avis fut jugé plus prudent par le gouvernement, mais un peu timide. On trouva que la position de l’armée sur l’Oglio était trop reculée ; cette rivière n’était que la seconde ligne de défense de la république ; il parut plus naturel de sc porter d’abord sur l’Adda, pour en disputer le passage aux Français, tout en évitant de commettre le sort du pays au hasard d’une bataille. Voilà à quoi se réduisent ordinairement les instructions des gouvernements timides : ils veulent qu’on les défende, mais sans rien hasarder, comme s’il dépendait toujours d’un général d’éviter une bataille ; comme si, lui interdire l’offensive, ce n’était pas laisser un avantage évident à l’ennemi, en le rendant maître d’attaquer quand il voudra, et sur le point qui lui conviendra le mieux. Machiavel remarque que les