514 HISTOIRE DE VENISE. dans le moment un bon office de la république, ne put se dispenser de témoigner qu’il voyait avec joie les Vénitiens maîtres d’une partie des propriétés de César Borgia. C’était prendre l’engagement de reconnaître, quand il serait pape, la légitimité de ces conquêtes. En conséquence, les Vénitiens, dont l’ambition n’avait pas besoin d’être encouragée, étendirent leurs acquisitions. Ils s’emparèrent du château de Forlimpopolo, d’une douzaine de petites villes, et essayèrent de surprendre Césène, dont les habitants leur fermèrent les portes. XXI11. Ils pressaient vivement le siège de Faenza, lorsqu’ils virent arriver un nonce du pape, qui leur ordonna de cesser ces usurpations, de restituer Ri-mini, de lever le siège de Faenza et d’en évacuer la citadelle, qui leur avait déjà été livrée. Toutes les places de la Romagne appartenaient, disait-il, au patrimoine de Saint Pierre ; le duc de Valentinois venait de le reconnaître par la remise qu’il en avait faite au saint-siège. En effet le pape avait fait arrêter César Borgia, cl avait obtenu de lui, moitié par caresses, moitié par menaces, la cession de tout ce qui lui restait ; ce fut la rançon de ce singulier personnage, qui, fils illégitime, archevêque, duc en France, prince en Italie, puis prisonnier à Rome et en Espagne, alla mourir les armes à la inain, en combattant pour le roi de Navarre. Imola venait de reconnaître la souveraineté du pape. Ludovic Ordelafe, qui était rentré dans Forli, et qui ne se sentait pas en état de résister à Jules II, voulait vendre cette place aux Vénitiens; mais ils n’osèrent dans les circonstances conclure le marché. La notification qu’ils venaient de recevoir des prétentions du saint-siége les arrêtait, sans les déterminer cependant à se dessaisir de ce qui était déjà entre leurs mains. Cette querelle, dans laquelle personne n’avait raison, comme il arrive souvent, fut l’origine d’affreuses calamités pour l’Italie. On répondit à la sommation en termes très-respectueux, que les villes de Faenza et de liimini, quoique relevant du saint-siége, avaient été gouvernées pendant plusieurs siècles par divers princes, dont la possession n'aurait été ni interrompue, ni contestée, sans l’injuste usurpation de César Borgia ; que la mort du pape Alexandre VI ayant amené la chute de cet usurpateur, les choses avaient dù rentrer dans leur premier état ; mais que la ville de Riinini s’étant soulevée contre les Malatesta, scs anciens maîtres, et ayant réclamé la protection de la république, celle-ci avait eu la générosité d’acquérir les droits de la maison de Malatesta, en lui assurant une juste indemnité. Quant à Faenza, le château et le territoire decette ville s’étaient donnés à la république. Les Vénitiens s’étaient crus autorisés à chasser de la place les troupes florentines, qui l’occupaient sans en avoir le droit; la descendance légitime des seigneurs de Faenza étant éteinte, il n’y avait pas lieu de stipuler une indemnité en faveur des anciens possesseurs, surtout celte place ayant appartenu depuis à César Borgia. On déclarait en terminant, que la république, toujours empressée de mériter la bienveillance du saint-père, par une déférence respectueuse, tant que sa propre dignité ne s’y opposait pas, offrait de tenir ces villes comme les précédents seigneurs, c’est-à-dire à titre de vicariats du saint-siége, et en payant le tribut accoutumé. Lorsque celle note fut présentée au pape par l’ambassadeur de Venise, Jules II répondit avec emportement qu’il persistait à exiger la prompte restitution des deux places réclamées, et que, si les forces de ('Église n’étaient pas suffisantes pour y contraindre les Vénitiens, il appellerait le secours des princes qui s’étaient toujours montrés les fidèles défenseurs des droits du saint-siége. L’ambassadeur eut beau lui exposer, qu’on ne se rappelait pas que Faenza ni Rimini eussent jamais appartenu à l’E-glise; que par conséquent le saint-siége ne pouvait y prétendre d’autres droits que ceux dont il jouissait avant l’occupation de César Borgia ; que la république, de son côté, ne prétendait pas les posséder autrement que comme des vicariats de l’Eglise ; qu’elle avait succédé aux droits des anciens possesseurs; qu’elle était appelée par le vœu des peuples; qu’il était digne du père commun de la chrétienté, de laisser un pays qu’il affectionnait sous l’autorité d’un gouvernement en qui tous les sujets reconnaissaient une administration éclairée, et trouvaient une protection efficace; que lui-même, avant d’être élevé au pontificat, avait paru reconnaître ces avantages, et voir avec plaisir les acquisitions que la république faisait dans la Romagne; qu’il avait même daigné l’y encourager. Toutes ces raisons, qui au fond n’étaient guère plus solides que celles sur lesquelles le pape établissait ses prétentions, ne purent ébranler le prince le plus opiniâtre qui fut jamais. Il adressa ses plaintes au roi de France et à l’empereur; déjà aigris l’un et l’autre contre les Vénitiens; celui-ci, parce qu’ils s’étaient alliés avec le roi pour la conquête du Milanais; celui-là, parce qu’il n’avait pas trouvé en eux des alliés à l’épreuve de la mauvaise fortune. XXIV. Louis XII et Maxiinilien traitaient à cette époque, pour la troisième fois, du mariage de Charles d’Autriche avec Claude de France. Celte union des deux maisons était devenue une formule de réconciliation entre les deux puissances. Rien ne prouve mieux combien on comptait peu sur ce mariage que la facilité avec laquelle on y revenait si