380 HISTOIRE DE VENISE. ville la nuit suivante. Le pape reprit toute sa hauteur; rompit les conférences, et Chaumont, qui avait fait trop et trop peu, se relira dans le Ferrarais, honteux d’avoir perdu le temps et l’occasion, au lieu de consommer une de ces entreprises qui sont d’autant plus dangereuses qu’on ne les achève pas. 11 mourut bientôt après, fort tourmenté du remords d’avoir fait la guerre au pape, à qui il envoya demander l’absolution (1). IX. Jules jeta aussitôt son armée, alors formidable, dans le pays de Ferrare. Elle soumit, en paraissant, les petites places de Sascolo et de Formigine. La passion du pape était d’emporter Ferrare ; mais on était au mois de décembre : sa cour, et même ses généraux, s’effrayaient de l’idée d’un siège qui ne pouvait manquer d’être long et très-pénible, la place étant en bon état de défense, et la saison fort rigoureuse. On savait à quelles fatigues on devait s’attendre, en combattant sous les yeux d’un maître qui trouvait que les opérations de la guerre n’étaient jamais conduites avec assez de vigueur. L’activité des préparatifs militaires n’empêchait pas la politique italienne d’employer d’autres moyens, qui lui étaient plus familiers. Le pape essaya de détacher le duc de Ferrare de la cause des Français, par des offres éblouissantes. Le duc échappa à ces séductions, et gagna le négociateur, qui, de lui-même, s’otlritù empoisonner Jules. Heureusement pour celui-ci, le chevalier Ilayard, dont la loyauté s’indigna de cette proposition, déclara qu’il allait faire pendre le traître, et avertir le pontife; à quoi le duc répondit, en haussant les épaules: ii Eh bien ! si Dieu n’y met remède, vous et moi « nous nous en repentirons. » Pour tâcher au moins d’oceuper.ailleu$ l’activité de Jules, on lui proposa d’enlever les deux places de Concordia et de la Mirándole. 11 n’en avait aucun droit, aucune raison : ces deux villes n’appartenaient point au duc de Ferrare ; elles n’étaient point dans le domaine de l’Eglise; le comte Pic de la Mirándole les tenait comme fiefs de l'empire; un des princes de cette maison venait d’être reçu dans l’alliance du pape, quelques jours auparavant, par un bref qui l’assurait de la protection du saint-siége. Mais on lit entendre à Jules qu’il importait de posséder ces deux places, pour s’ouvrir une route vers le Milanais, et dans son ardeur de guerroyer, ne pouvant attaquer Ferrare, il s’en prit où l’on voulut. Concordia fut surprise et enlevée sans résistance. Les Français eurent le temps de jeter une garnison dans la Mirándole. Jules envoya son armée pour en former le siège. Le canon tira dès le quatrième jour ; (lj Moktfauçoh, Monuments de la monarchie fran-çoise, t IV, p. 117. les assiégeants souffraient cruellement du froid, et manquaient déjà de vivres, les Français se défendaient vigoureusement. Jules, accusant tour à tour ses officiers de lâcheté et de perlidie, voulut aller lui-même presser les opérations, et annonça son départ. Les représentations des plus graves personnages de sa cour, les larmes des plus timides, les instances de ses médecins, la rigueur de la saison, rien ne put le retenir. 11 partit, encore convalescent, le 2 janvier 1811. Les Français avaient été informés de sa marche, et le chevalier Bayard, embusqué pour l’enlever, l’attendait à quelque distance d’un château où la cour pontificale avait couché. Le pape s’était mis en route, lorsque le temps devint si affreux, que toute sa suite le supplia Je rebrousser chemin. 11 y consentit avec peine, et, comme il venait de s’y résoudre, il vit revenir à toute bride quelques-uns de ses gens, qui, ayant pris les devants, avaient donné dans l’embuscade, et étaient poursuivis par les Français. Lui-même se jeta en bas de sa litière, et se sauva à pied dans le château, dont il eut à peine le temps de faire lever le pont, à quoi il aida lui-même. « Ce h qui fut d’homme de bon esprit, car s’il eut autant « demeuré qu’on mettroit à dire un pater nosler, il ii éloit croqué. Qui fut bien marry? Ce fut le bon « chevalier Bayard. Il ne pouvoit pénétrer dans le ii château sans artillerie, ni s’arrêter sans s’exposer « à être coupé dans sa retraite. Il fit un grand nom-n bre de prisonniers, et retourna bien mélancolie. « Jules, de cette peur qu’il avoit eue, trembla la « fièvre tout le long du jour. » Malgré toutes ces difficultés, il arriva à son armée, et, dès le premier jour, plaça son quartier-général dans une masure sous le canon de la ville. Dès ce moment, revêtu d’une cuirasse, le casque sur la tête, continuellement à cheval, il se montrait sans cesse à ses troupes, composées de Romains, de Napolitains, de Vénitiens, de Grecs, de Dalmates et de Turcs, les animait par la promesse du pillage (2), pressait les travaux, dirigeait les batteries, et partageait toutes les fatigues comme tous les dangers. Cette ville, assiégée par un pape, était défendue par une femme. La comtesse de la Mirandole commandait dans la place. Mais la neige tombait à gros flocons; la gelée rendait les travaux des pionniers très-pénibles. On n’avait point de grosse artillerie. Ce siège, entrepris à l’improviste, tirait en longueur. On parvint à entraîner le pape à Coneordia. 11 s’en échappa presque aussitôt, et revint dans son camp occuper cette même masure, qui fut traversée deux fois par (2, Moxtfaucon , Monuments de la monarchie française, t. IV, p. 117.