LIVRE XI. GUERRE CONTRE CARRARE, SEIGNEUR DE PADOUE. —- LA RÉPUBLIQUE RECOUVRE LE TRÉVISAN.— ACQUISITION DE CORFOU, DURaZZO, ALESSIO, ARGOS, N A PI. ES DE R03IAN1E, ET SCUTAUI.— 1382-1390. — LIGUE CONTRE LES TURCS.— BATAILLE DE NICOPOLIS.— TAHERLAN, APPELÉ PAR LES CHRÉTIENS, ATTAQUE BAJAZET , ET LE BAT A ANGORA.— NOUVELLE RUPTURE ENTRE LES GÉNOIS ET LES VÉNITIENS, — 1 388-1403.—GUERRE EN LOJIBARDIE CONTRE FRANÇOIS CARRARE II.— ACQUISITION DE Vlf.ENCE, DE FELTRE, DE BELLUNE, DE LA PROVINCE DE ROVIGO ET DE VÉRONE.— SIÈGE ET PRISE DE PADOUE. — MORT DES PRINCES CARRARE. — JUGEMENT DE CHARLES ZÉNO PAR LE CONSEIL DES DIX. 1397-1 100. I. Après celte lutte mémorable dans laquelle Gènes et Venise avaient signalé leur inimitié par de si grands efforts, la fortune diverse de ces deux républiques offre un exemple de ce qu’ajoutent à la force d’un État l’union intérieure et la stabilité du gouvernement (1382). On ne peut pas dire que l’un des deux peuples eût été vaincu. Les Génois avaient tenu la balance de la politique entre tous les princes de l'Italie. L’occupation de Chiozza, bien que momentanée, avait appris aux nations que les barrières élevées par la nature pour la défense de Venise n’étaient point insurmontables. Ils s’étaient maintenus dans les lagunes pendant près d’un an. Après y avoir perdu une armée de cinquante galères, ils en avaient présenté une autre presque aussi formidable qui disputait l’empire de l’Adriatique. Les conditions de la paix de Turin avaient été dictées par eux. Les Vénitiens venaient de perdre la seule province qu’ils eussent dans la terre-ferme, et l'ile de Ténédos. La puissance relative des Génois s’était donc réellement accrue. Cependant cet État touchait à sa décadence. Divisé par les factions, inconstant dans le choix de son gouvernement, épuisé par la guerre, sans pouvoir réparer ses pertes par la sagesse de son administration, il ne put, après un petit nombre d’années, échapper à un voisin ambitieux qu’en se donnant à un prince étranger. Le doge remit son sceptre et son épée aux ambassadeurs de Charles VI, et reçut le titre de gouverneur de l’État de Gènes pour le roi de France. C’était la quatrième fois, dans ce siècle, que Gênes se donnait à un maître : d’abord à l’em- pereur Henri VII, puis à Robert, roi de N a pies, et ensuite à l'archevêque de Milan, Jean Visconti. Le sort de Venise était tout différent. Elle avait fait de grandes pertes; mais il lui restait un gouvernement immuable, une administration sage, une politique circonspecte à la fois et persévérante, qui savait attendre, épier les occasions et les faire naître. Point d’ennemis intérieurs à combattre; toutes les forces, toute l’attention, pouvaient se diriger sur les affaires du dehors. On eut besoin de faire un emprunt ; ce fut un emprunt forcé, et cependant on s’y prit de manière à ce qu’il attestât le crédit de la république. On déclara qu’on accepterait les prêts volontaires; mais on en exclut formellement les étrangers, et il fallut un décret spécial pour autoriser l’admission des fonds que Jean Ier, roi de Portugal, voulut y placer. Une évaluation qui fut faite des propriétés existantes dans les six quartiers de Venise, en porta la valeur à 6,294,000 livres de gros d’or, c’est-à-dire près de 63 millions de ducats. On a calculé que, pour réduire cette somme en valeur d’aujourd’hui, il faudrait la multiplier par sept et un tiers. Tandis qu’à Gênes, la populace, les nobles, vingt factions triomphant tour-à-tour, déposaient, en trois ou quatre ans, dix doges éphémères, des Hottes sortaient de Venise pour aller recueillir de nouvelles richesses dans toutes les mers de l’Orient; et l’ücéan voyait une escadre destinée à protéger le pavillon do Saint-Marc sur les côtes de Flandres. Une sécurité parfaite sur le présent permettait de ne rien précipiter, et de tout attendre du temps, qui est un des éléments nécessaires de toutes les