LIVRE XXIV. 405 Les ennemis du roi ne doivent-ils pas être ceux de ses alliés? « Voilà ce que sa sainteté redoute pour vous. Déterminée à fermer aux barbares l’entrée de l’Italie, elle veut commencer par la délivrer des Français. Dans ce dessein, elle veut essayer d’abord auprès du roi les moyens de persuasion, et l’engager, moyennant un tribut que lui paierait le duc de Milan, à renoncer à l’invasion qu’il médite. C’est dans cette même vue de tout pacifier, qu’une proposition d’accommodement vous est adressée. De quoi s’agit-il? Il s’agit d’échanger, non pas Vérone, car vous ne la possédez pas, mais vos droits sur Vérone, c.onlre toutes les provinces de la rive droite de l’Adige; contre l’amitié de tous les peuples de l’Italie; contre le repos et la prospérité de vos sujets; contre l’indépendance et la sûreté de cet Etat. Que si, malgré les exhortations du saint-père, qui vous conjure, avec larmes, de ne pas rejeter votre salut, vous fermez les yeux sur vos véritables intérêts, et l’oreille aux propositions qui vous sont faites, j’ai ordre de vous prévenir que le saint-siège se séparera de votre cause, et sera forcé de vous abandonner. Rappelez-vous l’exemple du duc de Milan, Ludovic Sforce, à qui l’alliance de la France devint si fatale. Rappelez-vous que vous-mêmes, il y a quelques années, pour n’avoir pas voulu céder Faenza ou Rimini à Jules II, vous vous vîtes, en peu de jours, dépouillés de toutes vos provinces. « Après vous avoir parlé, ainsi qu’il m’a été ordonné, au nom du prince qui m’envoie, je vous prie de ne voir dans mes instances que le zèle patriotique d’un de vos citoyens, qui, les mainsjoinles, le cœur brisé, implore le ciel, pour qu’il vous inspire une résolution salutaire, et pour qu’en vous confiant à l’amitié dangereuse d’un allié lointain, vous n’attiriez pas sur vous les armes de tant de princes qui vous entourent. Cette puissante ligue est prête à se former. Le pape et les Florentins y fournissent mille hommes d’armes au moins, le roi catholique huit cents, l’empereur trois cents, le duc de Milan quatre cents. Cela fait en tout deux mille cinq cents lances. On aura,en outre, deux mille chevau-légers. L’État de I’Église et Florence fourniront toute l'infanterie dont on aura besoin. Quant aux fonds, ils sont déjà prêts. Ce n’est pas tout : les princes de Fer-rare, de Mantoue, de Montferrat, de Saluées, se préparent à se joindre à la confédération. Quatre ou cinq mille Suisses sont déjà en marche pour déterminer le duc de Savoie à entrer dans la cause commune. Les lettres du commissaire de sa sain- (1) On peut voir dans le Recueil des lettres de LouisXII, t. IV, p. 213, le compromis signé par l’évêque de Gurck, au nom de l’empereur, par lequel il accepte le pape pour arbitre; la dépêche par laquelle cet ambassadeur rend teté à Vérone, dont les avis ne nous ont jamais trompés, annoncent que l’empereur se dispose à marcher vers le Frioul. Votre sollicitude paternelle pour vos peuples se réveille au souvenir des désastres qui ont accompagné la dernière invasion. Quand vous avez vu Bassano, Vicence, Trévise, Padoue, occupées, et tous les villages de votre territoire en flammes, vous ne pouvez fermer les yeux sur vos dangers, nicxposcrencorevospeuples à desi grands malheurs; et l’Italie, qui vous offre son amitié, recevra un nouveau gage de vos dispositions pacifiques, et un nouvel exemple de votre haute prudence. » Ce discours fut écouté assez froidement par les Vénitiens. Ils firent de grands compliments à l’orateur sur son éloquence, pour se dispenser de discuter ses propositions, et finirai t par répondre qu’ils ne pouvaient renoncer ni à Vérone, ni à l’alliance de la France. Cependant le pape insista, et, comme ils conservaient toujours avec lui les formes les plus respectueuses, ils consentirent à ce qu’il se portât pour arbitre entre la république et Maximilien (1). L’on se flatta même de les avoir amenés à se désister do leurs droits sur Vérone, pourvu que l’empereur leur cédât Valeggio et Legnago; mais l’obstination de Maximilien à tout refuser dégagea les Vénitiens de leurs promesses. Le pape n’en prononça pas moins sa sentence arbitrale, dont la bizarrerie annonçait d’avance l’inexécution ; il ordonna qu’il y aurait paix et amitié perpétuelle entre l’empereur et la république, se réservant de faire connaître, dans un an, ce que celle-ci devrait céder; en attendant, il exigeait que les deux parties déposassent entre ses mains, savoir : les Vénitiens, la ville de Crème; et l’empereur, Vicence et toutes les places qu’il tenait dans les territoires de Trévise et de Padoue; enfin il obligeait les Vénitiens à payer cinquante mille ducals. Un pareil arbitrage devait mécontenter également les deux parties, aussi n’y eut-on aucun égard: la négociation fut rompue, et les Vénitiens firent partir une ambassade pour complimenter LouisXlI au sujet de son mariage avec la sœur du roi d’Angleterre, et pour resserrer l’alliance qui existait entre la France et la république. XIII. Les ambassadeurs apprirent en route la mort de ce prince, arrivée le Ier janvier la la, et l’avènement du duc d’Angoulême. François Ier, jeune, ardent, plein de ce brillant courage qui distinguait les guerriers de cette épo- compte à Maximilien des conditions de paix arrêtées par le pape, p. 273. 11 les juge acceptables, et la lettre de Jean le Veau sur lo même sujet, p. 282.