88 HISTOIRE DE VENISE. hérissé de rochers; par conséquent la population vénitienne sur les deux rives de l’Adriatique pouvait être exposée fréquemment à la disette. L’Ile de Candie était un pays fertile ; mais les révoltes de cette colonie en interrompaient souvent le commerce, et ne permettaient pas à la métropole de compter sur celle ressource. Quand la république renouvela scs traités avec l’empereur grec Michel I’aléologue, après l’expulsion des Latins du trône de Constantinople, elle eut soin d’y faire insérer la condition expresse qu’elle pourrait extraire, sans aucune opposition, autant de grains qu’elle voudrait de la Crimée, et de tout le territoire que l’empire grec possédait encore en Europe et en Asie. Elle se fit autoriser par le sou-dan de Tunis à exporter des grains de celle côte, jusqu’à concurrence de la cargaison de douze bàti-incnls à la fois, tant que le froment ne s’élèverait pas au-dessus du prix de trois bisans et demi la mesure. Elle oblinl des concessions à peu près semblables des autres régences barbaresques et des royaumes de Naples cl de Sicile, où elle payait moins de droit d’exportation que les naturels du pays. Elle soumil ses voisins, le patriarche d’Aquilée, le comte de Go-rice et le seigneur de Fcrrare, à souffrir ces extractions, quelquefois même gratuitement. Grâce à tous ces privilèges et à l’activité du commerce, l’abondancefutassurée; l’Angleterre même, alors riche en grains, cil couvrit les ports de Venise, lorsque les récoltes manquèrent sur les côtes de la Méditerranée; et non-seulement cette capitale se vit approvisionnée, mais elle devint le grenier de loute l’Italie septentrionale et la régulatrice du prix des denrées. Ainsi donc, si l'administration vénitienne avait commis une faute d'imprévoyance, elle sut la réparer habilement. Un gouvernement qui sent sa force, lire quelquefois avantage de l'adversité, qui donne toujours des ingrats à punir. XXI. La république, impatiente de faire senlirà ses voisins son ressentiment de leurs procédés, établit un impôt considérable sur tous les vaisseaux, sur toutes les marchandises, qui navigueraient dans 1 Adriatique, au norddu cap de Ravenne, d'un côté, et du golfe de Fiume de l’autre. Quand on eut établi cet impôt, il fallut le soutenir, et, comme tout impôt dérive nécessairement de la souveraineté, la république se trouva engagée, sans en avoir peut-être conçu le projet, à se déclarer maîtresse de l’Adriatique, c’est-à-dire d’une mer dont elle ne possédait pas même tous les rivages. Cette prétention était une nouveauté dans le droit public. Il est difficile de concevoir un droit de propriété sur une mer ouverte et commune à des riverains de diverses nations. Il fallait être bien déterminé à faire usage de sa puissance, pour tracer d’un bord à l’autre cette ligne que les étrangers ne pouvaient passer sans devenir tributaires, et bien fort, pour les assujettir à venir dans Venise même se soumettre à une vérification et acquitter le tribut. Les Génois, les Pisans, les Siciliens, les Levantins, étaient fondés à se plaindre; mais les premiers étaient en état d’hostilité avec la république; ni les uns ni les autres ne possédaient les rivages de cette mer dont elle s’arrogeait la propriété. C’était bien pis pour les peuples qui, à titre de riverains, y avaient absolument les mêmes droits que Venise, pour Trévise, l’adoue, Ferrare, Bologne, Ravenne, Ancóne, qui, si elles ne repoussaient cette usurpation, ne pouvaient plus mettre un vaisseau à la mer, ni communiquer l'une avec l’autre, ni recevoir, ni expédier des marchandises, sans payer un tribut aux Vénitiens. Les premiers qui appuyèrent par les armes leurs justes réclamations furent les Bolonais. Ils reçurent des secours de quelques villes de la Lombardie, et, ce qui était un prodige pour ce teinps-là et pour un Etat de cette étendue, ils parvinrent à mettre en campagne une armée de quarante mille hommes, composée sans doute de milices; mais un tel effort prouve jusqu’à quel point la république avait encouru la haine de ses voisins. Quelques galères, qu’elle envoya contre les Bolonais, insultèrent ou ravagèrent vainement les rives du Pô. Les vénitiens, quoiqu’ils eussent le doge à leur tête, furent repoussés partout pendant la première campagne. Au commencement de la seconde, Marc Gradenigo fut envoyé pour commander la petite armée que Venise opposait aux Bolonais. 11 leur livra une bataille générale, dont le succès complet lui ouvrit tout le territoire ennemi, et força Bologne à demander la paix. La première condition fut le maintien du droit exigé par Venise sur tout ce qui traverserait la mer qui l’entoure. Seulement elle consentit, en faveur des Bolonais, à quelques modifications dans le tarif. Le sénat jugeait bien qu’un tarif est, de sa nature, une chose variable; l’essenlicl était de donner à une taxe arbitraire le caractère d’un droit reconnu. Ancóne, voyant le mauvais succès des armes des Bolonais, implora l’autorité du pape contre les prétentions des Vénitiens, qu’elle traitait de pirates et de brigands. Le pape, qui n’aurait pas mieux demandé que d’ètre choisi pour arbitre de ce différend, eu écrivit à la république. Mais le sénat, sans s’écarter des formes de respect qu’il garda toujours avec le chef de l’Eglise, montra une telle fermeté dans sa résolution,, que le médiateur n’osa compro-