506 HISTOIRE DE VENISE. «stances présentes, attendre de notre nation les « mêmes efforts et les mêmes succès, si elle n’était « terrassée par le nom redoutable de votre majesté, « et si l’invincible valeur de vos armées ne lui ôtait, « je ne dis pas l’espérance de vaincre, mais même « la possibilité de résister. En jetant nos armes, il « nous reste un espoir, il est dans votre clémence « ineffable, dans votre bonté divine. « Vous nous voyez, dans noire malheur, venir « vers vous en suppliants. Au nom du doge, du « sénat et du peuple de Venise, nous vous conju- j « rons de daigner regarder notre infortune avec un « œil de compassion, et de nous permettre d’en at-« tendre le remède de votre clémence. « Toutes les conditions que vous dicterez, nous « les accepterons ; nous les tenons d’avance pour ho-« norables, pour justes et conformes à la raison. « Peut-être sommes-nous dignes de nous les imposer « à nous-mêmes. Que tout ce que nos ancêtres ont « pu enlever au saint empire romain et à la maison « d’Autriche vous soit restitué. Pour nous confor-« mer encore plus à notre situation présente, nous « y joignons tout ce que nous possédons dans la « terre-ferme, sans aucune réserve de nos droits, « quels qu’ils puissent èlre. Nous paierons, en ou-« tre, à votre majesté et aux empereurs ses succes-«seurs, cinquante mille ducats tous les ans, à « perpétuité. Nous nous déclarons soumis à vos com-« mandements, lois, décrets et ordonnances. « Pour prix de ces sacrifices, nous ne vous de-« mandons que de nous protéger contre l’insolence «de ceux qui, naguère nos alliés, sont mainte-« nant nos plus cruels ennemis, de ceux qui ne dé-« sirent rien tant que de voir périr jusqu’au nom « vénilien. « Conservés par votre clémence, nous vous pro-« clamerons le sauveur, le père, le fondateur de « notre cité. Nous consacrerons vos bienfaits et vos « vertus dans nos annales, nous les ferons chérir à « nos enfants, et ce ne sera pas une faible gloire « ajoutée à celle dont vous brillez déjà, que d’avoir « été le premier dont Venise suppliante ait em-« brassé les genoux. Elle vous révère, vous honore, « et veut vous servir comme sa divinité tulélaire. « Si le souverain arbitre des destinées eut dé-« tourné nos aïeux de s’immiscer dans les intérêts « des autres États, notre ville Ilorissanle entre les « villes de l’Europe, verrait encore croître sa splen-« deur ; au lieu de se voir humiliée, et d’être deve- (1) » Le vendredi le roy eut lettres qu’il y avoit eu une commotion à Vérone des gens de guerre contre l’évesque de Trente et le duc de Brunswick, tellement qu’üs avoient esté contraincts eux saulver en liabit dissimulé em vieil cliaslcl dudit Vérone. » (Lettre de Jean Gaulin à Marguerite d’Aulriche. Recueil des leltrcs de Louis XII, tom. Il, « nue un objet de haine et de pitié, en perdant, en « un moment, tout le fruit de ses victoires. « Mais, pour finir par où j’ai commencé, il est en «voire pouvoir d’acquérir un nom immortel, et « une gloire qu’aucune autre n’égale, en pardon-« nant aux Vénitiens. Tous les siècles vous procla-« nieront le plus grand et le plus clément des prin-« ces ; et nous, vos fidèles Vénitiens, en conservant ! « la vie et l’avantage de jouir du commerce des « hommes, nous publierons que ce sont vos bien-« faits. » Les historiens vénitiens, comme je l’ai dit, contestent l’authenticité de cette harangue; mais l’un des plus graves, le cardinal Bembo, dont le témoignage n’est pas suspect, dit en propres termes: « Antoine Justiniani fut envoyé vers l’empereur « Maximilien, pour tâcher de conclure la paix avec « lui, quelque dures que pussent en être les condi-« lions. » Il y a loin de ce langage à celui que la république avait employé si souvent dans sa prospérité. Quelque incertitude qui puisse rester sur les termes du discours qu’on altribue à Justiniani, il est évident que scs maîtres étaient résignés à accepter toutes sortes de conditions, et il est indifférent qu’il ait employé des formules contenant l’aveu de l’autorité de l’empereur sur la république, puisque dans le fait celle autorité n’a jamais été exercée. L’empereur aurait été peu fondé à se prévaloir d’une soumission dont il n’avait pas profité : car il est constant qu’il refusa tout accommodement avec les Vénitiens. Mais par une inconséquence que l’incohérence habituelle de ses desseins peut seule expliquer, en même temps qu’il rejetait la paix, il ne se préparait pas à leur faire la guerre. Il avait dissipé, avant de commencer la campagne, tous les fonds qu’il avait tirés de ses sujets, cent cinquante mille écus d’or levés en Allemagne pour la croisade, et que le pape avait laissés à sa disposition, enfin le prix de l’investiture du duché de Milan. Ce désordre de ses finances lui fit commettre deux fautes. La première fut de ne pas s’assurer, par de fortes garnisons, des places qu’il venait d’acquérir à si peu de frais; la seconde, d’y envoyer des gouverneurs qu’il payait fort mal, et qui se dédommageaient de la pénurie de leur maître, en pressurant les habitants, sans avoir des forces suffisantes pour se faire respecter (1). XIII. Les sujets de la république ne tardèrent pas p. 57). « I.e grand maislre écrivoit qu’ils estoient enclos and. vieil cliastel par les gens de guerre qui ne les vonloient laisser partir sans eslre payez ; à cesle cause il avoit preslé audit evesque '25,000 ducats,donlonl été payez touls iceuU gens de guerre. » (Ibid., p. 58.)