68 HISTOIRE DE VENISE. ii injuste ; mais les Grecs avaient péché ; Dieu s’est ii servi de vous pour les punir. Puisque cette terre « vous est acquise par le jugement de Dieu, nous ii croyons pouvoir vous autoriser à la défendre. Nous « espérons que Dieu vous pardonnera, si vous gou-h vernez avec justice, si vous ramenez les peuples à ii notre saintccommunion, sivousrestituezlesbiens ii de l’Église, si vous faites pénitence, et surtout si « vous persistez dans la résolution d’accomplir votre ! ii vœu. » Le pape envoya un légat à Constantinople, qui vit avec douleur que les barons et les Vénitiens s’étaient j partagé lesdomainesdel’Égliscen mémetempsque j le territoire de l’empire. XXXIX. Il restait à élire un patriarche; il devait être pris paripi les Vénitiens conformément au traité. Le choix tomba sur Thomas Morosini. Ce choix n’avait rien que de louable; mais le pape jugea que l’élection n’avait pas été faite dans les formes canoniques , parce qu’elle avait eu lieu en vertu des ordres ou des pouvoirs du doge , et qu’elle avait été faite par les nouveaux chanoines de l’église de Sainte-Sophie, nommés par Dandolo. En conséquence le pape cassa l’élection ; mais, en considération du mérite du sujet, il nomma lui-même l’élu patriarche de Constantinople. Ce patriarche se trouvait alors à Rome. II passa par Venise pour aller prendre possession de son siège; là le sénat lui lit jurer de ne nommer aux canonicats de Sainte-Sophie, et de ne promouvoir aux sièges de sa juridiction que des sujets vénitiens. Le pape, informé de ce serment, le déclara nul,et défendit à Morosini de le tenir. XL. La république était plus puissante que le nouvel empereur. Elle venait d’acquérir plusieurs millions de sujets; mais il restait à les soumettre et à les contenir .Telle était l’entreprise d’un Étal, qui, si on ne compte pas la Dalmatie, presque continuellement révoltée, n’avait guère que deux cent mille aines de population. 11 y avait dans cette conquête un avantage au partage duquel les belliqueux alliés des Vénitiens ne prétendaient pas : c’était le commerce. Les nouvelles possessions échues aux Vénitiens par le traité étaient toutes maritimes, à l’exception d’Andrinople. Elles présentaient une suite de ports et d’ilcs, depuis le golfe Adriatique jusqu’au Bosphore. Dans l’impossibilité où le gouvernement se voyait d’occuper à-la-fois un si grand nombre de points isolés, il accorda, en 1207, à tous les citoyens vénitiens la permission d’armer, pour conquérir les lies de l’Archipel et les ports de la còte, non encore soumis, à condition qu’ils les tiendraient comme fiefs de la république. On ne réservait que l’île de Candie et celles de la mer Ionienne. Cette procla- mation ouvrit une nouvelle carrière à l’ambition et à la cupidité. Les nobles et les marchands vénitiens, citoyens égaux d’une république où les fiefs étaient inconnus, s’empressèrent de hasarder leurs richesses pour devenir conquérants et feudataires. La lâcheté des Grecs leur facilita ces conquêtes. Marc Dandolo et Jacques Viaro s’emparèrent de Gallipoli, qu’ils firent ériger en duché. Les Iles de Naxos, Paros, Melos et Horinée, formèrent une principauté, que la famille de Marc Sa-nudo conserva près de quatre cents ans. Marin Dandolo s’établit à Andros. André et Jérôme Ghisi prirent Theonon, Sciros et Micone; Pierre Justiniani et DominiqueMichieli, l’île de Céos ; Ilaban Corriaro s’établit sur les côtes de Négrcpont, où il eut de la peine à se maintenir, et Philocole Navagier porta le titre de grand-duc de Lemnos. XLI. Nous avons fait remarquer que la ville d’Andrinople était la seule possession de la république dans l’intérieur des terres. Cette place était un poste avancé pour la défense de Constantinople. Elle se trouvait dans le voisinage d’un prince puissant, auquel les Grecs avaient eu recours en haine de leurs nouveaux maîtres. Le roi des Bulgares profita de l’occasion, promit des secours : la révolte éclata dans tontes les provinces, la garnison vénitienne d’Andrinople fut obligée de se retirer, et il fallut rappeler des troupes de tout côté pour aller faire le siège de celte ville. Mais tel était le mépris des Latins pour le peuple conquis, qu’ils ne voulurent pas admettre les Grecs dans leur armée, même comme recrues (12015). Baudouin partit aussitôt de Constantinople avec peu de monde, sans se donner le temps d’attendre son armée, que dans les circonstances il était fort difficile de réunir. Le vieux doge, dout l’activité ne se ralentissait pas, arriva devant la place aussitôt que lui. Le roi des Bulgares, prompt à la secourir, ne tarda pas à venir attaquer les assiégeants dans leurs lignes. Ils poursuivirent imprudemment un corps de cavalerie qui fuyait pour les attirer; l’excès de la bravoure occasiona une déroute complète ; l’empereur tomba entre les mains des Bulgares, le comte de Blois fut tué. Le doge et Villehardouin rallièrent les débris de l’armée, et opérèrent la retraite sur Constantinople, vivement poursuivis par l’ennemi, ayant à traverser un pays en état de révolte, et laissant l’empereur au pouvoir d’un vainqueur barbare, qui iui fil indignement couper les jambes et les bras. Telle fui la destinée d’un jeune prince, que, si peu de temps auparavant, la fortune avait appelé de si loin au trône de Constantinople. Mutilé, jeté sur un rocher, il y expira au bout de trois jours.