LIVRE XI. 179 de s’établir à Venise, et d’y tenir une banque qui prêtait à intérêt. En même temps 011 défendait à tous les étrangers d’acquérir aucunes rentes à Venise, sans une autorisation expresse. Ils avaient même besoin d’une permission pour y fixer leur domicile, et ce domicile ne les rendait aptes à acquérir les droits de citadin qu’après une résidence de quinze ans. Ces règlements prouvent que le gouvernement n’avait pas besoin de favoriser les étrangers pour augmenter la population de sa capitale. En même temps qu’on se montrait difficile pour accorder le droit de citadinance, une sage politique admettait quelques étrangers aux privilèges du pa-triciat. Des princes alliés furent inscrits sur le livre d’or, et cet honneur devint la récompense de Jacques Dal Verme, ce général qui, tour à tour, avait si utilement servi les Vénitiens et les Milanais dans les guerres précédentes. Michel Sténo fut élu doge à la place d’Antoine Renier; c’était un vieillard de soixante-neuf ans (1400). XXL Galéas Visconti, qui avait élevé si haut la puissance de sa maison, jusqu’à inspirer à toute l’Italie de la jalousie et même de l’inquiétude, mourut de la peste, le 3 septembre 1402, laissant deux (Ils mineurs. Sa veuve vit fondre sur elle un orage formé par de longues inimitiés. Elle ne craignit pas de s’en attirer de nouvelles par des actes de cruauté, qui annonçaient une femme vindicative bien plus qu’une régente courageuse. Elle lit massacrer, dans son palais, trois gentilshommes membres de son conseil. Quelque temps après on vit un matin, sur la place publique, cinq cadavres vêtus de noir, mais sans tête. Celte exposition apprit au peuple de Milan qu’il y avait eu un soupçon conçu, un jugement sans publicité, une exécution nocturne, peut-être même un supplice sans jugement préalable; et chacun, après avoir examiné les cadavres sans pouvoir les reconnaître, s’en retournait humilié de vivre sous un pareil gouvernement, et pesant s’il y avait plus de dangers à l’attaquer qu’à le supporter. Aussi une insurrection éclata-t-elle bientôt dans Milan; la régente fut obligée d’aller chercher sa sûreté à Monza, sous la protection de quelques troupes mercenaires; et un de ses fils, qu’on sépara d’elle, devint à la fois un otage et un instrument dans la main des factieux. Ce grand Etat, fondé par les talents et les crimes des Visconti, et qui s’étendait depuis les lagunes de Venise jusque dans la Toscane, se trouva tout à coup en proie à la discorde civile et à la guerre étrangère. Des seigneurs, naguère sujets paisibles de Galéas, ne voyant plus de sûreté que dans la rébellion, s’emparèrent de quelques villes; des voisins jaloux attaquèrent les provinces. Privée de Pavie, que les mécontents gouvernaient sous le nom du fils qu’on lui avait enlevé, la régente voyait son autorité méconnue ou renversée dans Alexandrie, Crème, Lodi, Bergame, Crémone, Cûme et Brescia. A Sienne ses enseignes avaient été arrachées. Elle venait d’être obligée de rendre Bologne aux troupes du pape, et elle apprenait que les Florentins et le seigneur de Patloue, ligués contre elle, se donnaient rendez-vous sous les remparts de Milan. XXII. Dans ce danger elle eut recours aux armes de la faiblesse; elle négocia, et ce ne fut pas sans l’espoir de tromper. Du moment que la puissance des Visconti cessait d’être prépondérante, celle maison n’avait plus droit à l’inimitié des Vénitiens. La duchesse Catherine les pria d’être les médiateurs de la paix qu’elle demandait au seigneur de Padoue. Celui-ci finit par y consentir, à condition qu’on lui céderait Feltre et Bellune, et la république se rendit garante de la remise de ces deux places. La cession n’eut point lieu à l’époque convenue. l,a seigneurie ne se fit point un devoir d’augmenter la puissance de Carrare. Celui-ci commença la guerre. Son .gendre, le marquis d’Este, vint se joindre à lui. Guillaume de la Seala, fils de l’ancien seigneur de Vérone, dépouillé de ses États quelques années auparavant, crut cette circonstance favorable pour les recouvrer. Il vint offrir son alliance à Carrare; ce n’était pas un auxiliaire qui eût des troupes à fournir, mais il avait des prétentions à faire valoir. La première irruption de ces alliés fut heureuse : Vérone fut emportée moitié par la force, moitié par la trahison. Guillaume de la Scala y fut couronné, mais quelques jours après il mourut, et sa mort, qui n’avait d’autre résultat que de transmettre ses droits à ses fils, fournit aux ennemis du seigneur de Padoue l’occasion de répandre conlre lui des soupçons que les mœurs du temps n’autorisaient que trop sans doute, mais que toute la conduite du second Carrare démentait. Ce prince, guerrier intrépide, n’élait pas un homme sans générosité, et il méritait au moins qu’on le crût incapable d’un crime inutile (1403). XXIII. Des ambassadeurs de Milan vinrent implorer l’assistance des Vénitiens contre cette ligue formidable; et pour mettre un prix à ce secours, ils offrirent à la république, Vicence avec Feltre et Bellune, c’est-à-dire les mêmes places dont elle avait garanti la cession au seigneur de Padoue, quelques mois auparavant (1404). Il ne s’agissait plus que de savoir jusqu’à quel point l’importance de ces acquisitions pouvait balancer un manque de foi. On dit, pour l’honneur des Vénitiens, que la délibération dans laquelle