LIVRE XXIII. 388 Il déroba sa marche aux alliés, à la faveur d’un temps affreux, et entra dans la place sans être aperçu. Si la fatigue de ses troupes lui eût permis d’attaquer les assiégeants dès le soir même de son arrivée, il les aurait surpris; mais il fut obligé de remettre sa sortie au lendemain, et dans la soirée ils furent avertis par un soldat, qu’on prit autour de la ville, que toute l’armée française était dedans. Aussitôt ils profilèrent de la nuit pour retirer leur canon des batteries, lui firent prendre les devants par la route d’Iinola, et se retirèrent au point du jour. Gaston se borna à les faire poursuivre par sa cavalerie légère, laissa, pour la sûreté de la place, un corps de quatre cents gendarmes et quatre mille hommes de pied, et se mit en route le lendemain pour Brescia, où il arriva neuf jours après, ayant fait une marche de plus de cinquante lieues, traversé plusieurs rivières et détruit une division vénitienne qui gardait un passage sur l’Adige. Cette résolution était belle, cette marche était rapide; mais le jeune général avait eu le mérite d’en prévoir la nécessité et de s’y préparer en faisant jeter d’avance un pont sur le Pô (1). XV. En arrivant, il trouva les Vénitiens maîtres de Brescia, mais non pas du château. Ils avaient surpris cette ville, la veille du jour qu’il était entré dans Bologne, le 4 février, à la faveur de leurs intelligences, notamment par le conseil du comte Louis Avogaro. André Gritti, après une première tentative infructueuse, avait profité de la sécurité de l’ennemi, pour en hasarder une seconde (2). Il parait que les bourgeois avaient introduit les Vénitiens par une égout tandis que de fausses attaques attiraient ailleurs l’attention de la garnison ; mais il faut dire aussi, à la gloire du provéditcur Gritti, que ces attaques étaient des assauts, et que, des trois points qu’il assaillit, deux furent emportés l’épée à la main. Dès le lendemain, il commença à canonner la citadelle, y ouvrit une brèche en peu de jours, et envoya des détachements reprendre Bergame, Ponte-Vico, les Orci et quelques autres places, qui, à la nouvelle de ses succès, s’étaient déclarées pour leurs anciens maîtres. Gaston, en arrivant devant Brescia, laissa une partie de son armée en dehors, et entra dans le château avec le reste, par la porte qui donnait sur la campagne. En débouchant du côté de la place, il trouva sur l’esplanade l’armée vénitienne, composée (1) «I/on est adverty comme M. de Nemours a fait faire un pont sur la rivière de Pau pour aller secourir Bresse, si les Venissiens la viennent assaillir. » (Dépêche de Jean le Veau, secrétaire de l’ambassade autrichienne en France. Recueil des lettres de Louis XII, t. III, p. 151.) (2) « Ce dict jour d’huy sont venues nouvelles comme la cité de Bresse a été prinse par les Venissiens, dont leroy est HISTOIRE BE VENISE, de cinq cents gendarmes, huit cents chevau-légers et huit mille fantassins, sous les ordres d’André Gritti. L’attaque des Français fut impétueuse et médiocrement soutenue par les ennemis. Ceux-ci se replièrent de rue en rue, protégés par le feu des habitants, qui tiraient sur les soldats de Gaston. Alors la partie de l’armée française qui était restée en dehors de la ville, se mit à en canonner la seule porte qui ne fût pas murée, l’enfonça, ferma toute retraite aux Vénitiens, et en fit un horrible carnage. Rien ne se sauva. Le provéditcur Gritti, le podestat Justiniani, et beaucoup d’autres hommes de marque furent faits prisonniers. On évalue à quinze mille le nombre des soldats ou habitants qui furent tués dans celte action, et le sac de l’opulente ville de Brescia fut la suite de la victoire. On comptait les écus par poignées, on mesurait le velours à la pique. « Or chacun se mit au pillage parmi les maisons, et y eusl de grosses piliez ; car comme pouvez entendre, en tels affaires, il s’en trouve toujours quelques-uns meschants, lesquels entrèrent dedans les monastères et feirent beaucoup de dissolutions, car ils pillèrent et dérobèrent en beaucoup de façons; de sorte qu’on estimait le butin de la ville à trois millions d’escus. Il n’est rien si certain que la prinse de Bresse feut en Italie la ruine des François, car ils avoient tant gaigné en ceste ville, que laplusparts’en retourna et laissa la guerre.» Parmi les scènes d’uu désordre effroyable qui dura sept jours, je ne recueillerai qu’une circonstance. Une partie de la population s’était réfugiée dans les églises. Des soldats y entrèrent en sabrant, sans pitié comme sansdistinction, tout ce qu’ils rencontraient. Un enfant de la dernière classe du peuple, âgé à peine de dix ou douze ans, reçut, dans les bras de sa mère, cinq blessures, dontunelui ouvrit le crâne; une autre, qui lui avait fendu les lèvres, lui fil donner le surnom de Tartaglia, qui bégaye; et ce nom, le seul qu’on lui connaisse aujourd’hui, tant celui de sa famille était obscur, rappelle le restaurateur des mathématiques. Bergame, et les autres villes révoltées, étaient rentrées dans la soumission aussitôt que les Français avaient reparu. XVI. L’activité d’un jeune prince venait de dé-concerter les projets des coalisés. De leurs deux entreprises, faites à la lois sur Bologne et sur Brescia, une au moins devait réussir. Elles furent déjouées si marry et troublé qu’il n’a voulu cejourd’huy parler à personne, mais s’est tenu toute la journée avec deux de ses va-lets-de-chambre seulement, et je vous promets, madame, que l’on est aussi esbahi que l’on feust oneques, et tient l’on j pour perdue la duché de Milan.» (Dépêche de Jean le Veau, secrétaire de l’ambassade autrichienne,à Marguerite d’Autriche. (Recueil des lettres de, Louis XII, t. III, p. 152.) 2">