LIVRE X. 159 république à la main, et monta sur la galère ducale, suivi de la plus grande partie des sénateurs (1579). Pisani avait conçu le projet de forcer toute la flotte génoise à se rendre; mais pour cela il fallait éviter de la combattre, puisqu’elle était supérieure en nombre et incomparablement mieux armée. Il fallait la surprendre dans le port où elle avait eu l’imprudence de se placer; mais on ne pouvait pas fermer ce port même. La ville de Chiozza est située sur un groupe de petites lies dans les lagunes. Elle communique par un pont, comme nous l’avons dit plus haut, avec Pile voisine. Ainsi elle se trouve séparée de la haute mer par celte plage, qui au nord laisse une passe entre elle et Pile de Palestrina; c’est ce qu’on nomme la passe de Chiozza. Au midi, une autre communication est ouverte avec la haute mer par l’intervalle qui sépare l’île du continent. Cette seconde passe est celle de Brondolo. On conçoit que quand on est dans le port de Chiozza et qu’on veut regagner la mer extérieure, il faut nécessairement sortir par une de ces passes, ou remonter les lagunes par le canal dit de Lombardie, et aller chercher les passes de Malamocco, du Lido ou de Saint-Érasme. II s’agissait donc, dans le plan de l’amiral vénitien, d’enfermer l’ennemi dans les lagunes, en lui opposant à chacune de scs trois issues de Chiozza, de Brondolo et du canal de Lombardie, non pas précisément une résistance armée, car on était moins fort que lui, mais un obstacle inerte et pourtant insurmontable. Il fallait porter, conduire et établir ces obstacles dans chacun de ces passages, empêcher les Génois de les rompre; enfin il fallait placer la flotte vénitienne en dehors des issues, afin qu’elle ne restât pas elle-même enfermée dans les lagunes, exposée à soutenir un combat inégal, et pour qu’elle pùt au contraire écarter la nouvelle escadre peut-être déjà partie de Gênes, qui venait renforcer les alliés. Cette opération, très-compliquée, était en même temps une conception hardie. Nous allons voir quelles difficultés présenta son exécution. Les trente-quatre galères vénitiennes, accompagnées de soixante barques armées, et de plusieurs ceniaines de bateaux, sortirent du port dans la nuit du 21 au 22 décembre, et se dirigèrent en silence vers Chiozza à travers les lagunes. Pisani et Justi-niani, qui avaient pris le commandement de l’avanL-garde, faisaient remorquer deux gros navires destinés à être coùlés dans les passes pour les fermer. Ils évitèrent de s’approcher du port, où était la flotte ennemie, et arrivèrent avant qu’il fut tout-à-fait jour dans la passe dite de Chiozza, qui est entre Plie de Palestrina et Plie de Brondolo. Un des côtés de cette passe leur appartenait depuis que les Gé- nois avaient évacué Malamocco. Pisani fit sur-le-champ avancer sa flottille, qui jeta sur la rive opposée quatre ou cinq mille hommes, avec ordre de s’emparer de la pointe de Pile de Brondolo, afin que la flotte pût avec moins de difficulté travailler à fermer la passe ; mais Pile de Brondolo était couverte de troupes qui tombèrent sur les Vénitiens, et les obligèrent de se rembarquer en désordre et avec une perte considérable. Pisani n’en fit pas moins arriver une de ses grandes coques pour l’établir au milieu du canal. La présence des troupes ennemies, répandues sur le rivage, rendait cette opération très-pcrilleuse. Sept galères génoises, qui avaient eu le temps d’appareiller, accoururent avant qu’elle fût terminée, attaquèrent la coque toutes ensemble, et y mirent le feu. Ce grand bâtiment s’enfonça dans la passe même. Les galères génoises furent écartées par le reste de la flotte vénitienne, et sur-le-champ une multitude de petits bateaux, chargés de pierres, vinrent remplir cette coque, et en faire une digue qui obslruait le canal. Comme une partie de la flotte des Génois se trouvait désarmée dans ce moment, ils no pouvaient opposer aux Vénitiens des forces suffisantes pour les contraindre de s’éloigner. Le lendemain Pisani acheva de faire fermer la première issue, en y coulant quelques autres bâtiments, et en les joignant l’un à l’autre par une forte estacade que protégeait une batterie placée sur la pointe méridionale de Pile de Palestrina. Cette opération terminée, il restait à en faire autant dans la passe de Brondolo ; mais on ne pouvait plus y arriver à Pimproviste, et l’ennemi occupait les deux côtés du canal. Ce bras de mer n’a pas plus de quatre cents pas de largeur; il y a peu d’eau au milieu. Les passes praticables pour les vaisseaux longent le rivage; il fallait donc venir sous le feu de l’ennemi pour amener les embarcations qui devaient fermer le passage. Pisani confia cette mission à Frédéric Cornaro, qu’il détacha avec quatre galères. Quatorze galères génoises vinrent s’opposer à cette opération : Pisani s’avança avec dix des siennes pour soutenir ses gens. Le combat s’engagea dans ce champ de bataille si resserré ; il lut terrible ; mais enfin, malgré le choc des vaisseaux ennemis, et le feu de toutes les batteries de la côte, la passe fut fermée, comme celle de Chiozza l’avait été le jour précédent. Ce n’était pas tout : il restait à perfectionner ces estacades faites à la hâte, à les mettre en état de résister aux tempêtes, et à les protéger contre tous les efforts d’un ennemi, qui était perdu s’il ne parvenait à les rompre. L’amiral, laissant la flottille dans les lagunes, remonta avec ses galères le canal de Lombardie, qu’il encombra de gros vaisseaux coulés à fond, sortit des lagunes par la passe du