178 HISTOIRE I)E VENISE. quête d’une partie de l’Europe. Après avoir donné l’investiture du royaume de Romaine au fils de Ba-jazet, à Soliman, qui en reçut le diplôme à genoux; après avoir assujetti l’empereur grec à un tribut, ce conquérant, septuagénaire, partit des environs de Smyrne pour aller faire la conquête de la Chine. On serait un peu houleux de raconter des combats de trois ou quatre mille hommes, après les grandes batailles des cinq cent mille Turcs de Bajazet contre les huit cent mille Tarlares de Timour, si l’on ne se rappelait que c’cst précisément quand notre espèce humaine sc trouve réunie en grands troupeaux qu’elle devient plus méprisable. La nature nous a indiqué cette vérité, en ne permettant à notre cœur de s’intéresser vivement qu’aux individus. Une petite peuplade de Grecs existait sur la côte d’Albanie; les brigandages des Turcs l’avaient forcée d’abandonner Ja ville qu’elle occupait, appelée l'arga, et de sc retirer sur un rocher qui s’avance dans la mer Ionienne. Du haut de ce rocher les habitants de la nouvelle l’arga voyaient devant eux l'Ile de Corfou occupée par les troupes de la république. Us ne pouvaient sortir de chez eux sur le continent, sans y rencontrer les Turcs, sur mer sans passer sous le canon des Vénitiens. Enhardis par les désastres que les Turcs venaient d’éprouver, ou forcés de subir la loi de leurs nouveaux voisins, ils sc mirent, en 1401, sous la domination ou sous la protection delà république, qui en 1447, leur accorda quelques privilèges. Ils étaient exempts de tous impôts, de toutes charges, même de la milice. Ils nommaient leurs magistrats et étaient gouvernés par un noble de Corfou, sous l’autorité du prové-iliteur qui commandait dans celte île. On dit même que lorsqu'ils étaient mécontents de leur gouverneur, ils le tenaient enfermé jusqu’à ce qu’ils eussent obtenu justice. Dans la suite cette petite colonie fut saccagée par les Turcs. La prise et l’incendie de l’arga, qui eurent lieu en liîOO, déterminèrent le gouvernement de Venise à fortifier cette ville en 11571. C’est cctle peuplade de trois ou quatre mille âmes qui, dans ces derniers temps, a donné un si grand exemple au monde dont elle était ignorée. Lorsqu’en 1819 les Anglais cédèrent l’arga au pacha de Ja-nina, tous les habitants sans exception, hommes, lemmes, cillants, vieillards, abandonnèrent leur patrie plutôt que de passer sous le joug de ce barbare. Les Turcs, en y entrant, ne trouvèrent qu’une ville déserte, et les restes d’un immense bûcher qui achevait de consumer les ossements des morts que les Parganiotes avaient exhumés pour ne pas les laisser au pouvoir de ces nouveaux maîtres. XIX. Pendant que Timour et Bajazet se dispu- taient l’Asie, le seigneur de Milan méditait la ruine du seigneur de Mantoue, son parent; et celui-ci, pour opposer à son cousin des forces égales, formait une ligue avec les Florentins, le marquis de Ferrare, le prince de l’adoue, et les Vénitiens. L’abaissement des Visconli importait à la république depuis qu’elle avait acquis le Trévisan. L’armée milanaise faisait le siège de Mantoue. Une llottille vénitienne, qui entra dans le Mincio, sous le commandement de Jean Barbo, rompit l’cstacade que les assiégeants avaient établie, et facilita une attaque générale dont le succès délivra la place. Le combat de Go-vernolo, qui eut lieu le 29 août 1597, amena des propositions de paix; elle fut signée l’année suivante. Le seigneur de Milan avait entrepris des travaux considérables pour priver Padouc des eaux de la Brenla. Plus de trente mille hommes avaient été occupés pendant deux mois à construire, près de Bollano, des écluses de retenue. Les Vénitiens exigèrent que ces travaux fussent démolis; mais ce fut le prince de Padouc qui en remboursa les frais. Le doge Antoine Renier mourut dans les derniers jours du quatorzième siècle. On cite de lui un trait qui prouve son respect pour la justice. Son fils eut le malheur d’outrager la femme d’un patricien, avec laquelle il avait eu précédemment des liaisons intimes. Dans un autre pays, une telle querelle n’aurait point été portée devant les tribunaux; mais si le bon ordre qui régnait à Venise ne permettait pas à l’époux offensé de se venger lui-mème, les lois lui assuraient une juste satisfaction. Le fils du doge fut condamné à une amende de cent ducats, à deux mois de prison, et à ne pas se montrer de dix ans dans le quartier qu’habitait la dame offensée. Il tomba dangereusement malade en prison, et son père l’y laissa mourir plutôt que de demander un adoucissement à la sentence. On dit même qu’elle aurait été plus rigoureuse si son avis eût été suivi. XX. On continua, sous ce règne, à faire des règlements qui diminuaient les prérogatives du prince. On défendit de lui donner le titre de monseigneur, sous peine d’amende. Il fut établi qu’en parlant de lui on se servirait de l’expression messer le doge. Il lui fut interdilde posséder aucun fief hors de l’État, et de marier ses enfants à des étrangers sans la permission de ses six conseillers, de la quarantie et du grand-conseil, où il fallait encore qu’il obtint les deux tiers des voix. Les officiers attachés à sa personne furent déclarés inhabiles à occuper des emplois publics, tant qu’ils resteraient à son service, et même un an après l’avoir quitté. On rapporte aussi à ce règne quelques autres règlements qui donnent une idée du système de cette administration. Deux Juifs obtinrent la permission