LIVRE XVI. 239 être funeste. Le plus sûr était d’attendre tout du temps. Sforce était retranché, mais il ne recevait des vivres que très-difficilement : et quant à la ville de Milan, il était possible que la famine la réduisit à la nécessité de se rendre; mais il était possible aussi que, dans cette extrémité, elle reconnût les Vénitiens pour maîtres plutôt que Sforce. Cet abominable calcul était appuyé par des dépêches de Léonard Vénier, l’envoyé de Venise auprès des Milanais. Les souffrances incroyables du peuple de cette capitale ne laissaient plus aucune autorité aux magistrats. L’inaction des Vénitions, leur cruelle indifférence, excitaient de justes murmures, qui devinrent bientôt des imprécations. Enfin un jour, sans qu’on sût précisément pourquoi, toute la populace d’un quartier prit les armes, on sonna le tocsin, les magistrats virent le palais entouré, le tumulte était extrême; il fallut dissiper cette multitude furieuse par des décharges, qui blessèrent beaucoup de monde, et qui ne ramenèrent le calme que pour un moment. Bientôt après, le tumulte recommença, la foule inonda les avenues du palais. On n’avait point de projet, rien à demander, et la sédition était générale. L’ambassadeur de Venise crut que sa présence imposerait aux factieux ; il voulut leur adresser des reproches, il fut massacré. Dès ce moment, il n’y eut plus aucune autorité régulière; le peuple s’empara des portes, tous les magistrats se cachèrent; seulement on remarqua qu’un nommé Gaspard de Vilmercato avait beaucoup d’ascendant sur ces factieux , et même qu’il tâchait de mettre un certain ordre dans leurs mouvements. Cet homme avait servi dans les troupes de Sforce. Le lendemain, on s’assembla tumultuairement pour prendre un parti. Au milieu de toutes les propositions plus ou moins insensées qui furent énoncées dans ces orageux comices, il fut généralement reconnu qu'on ne pouvait que rendre la place. Mais à qui? Les uns proposaient le roi de France; d’autres le roi de Naples, le pape, le duc de Savoie. Personne ne prononçait le nom de Sforce ; tous parlaient des Vénitiens, mais avec horreur. Gaspard de Vilmercato résuma ces différentes propositions. 11 n’eût pas de*peine à faire sentir que le pape, les rois de France et de Naples, le duc de Savoie, n’étaient pas à portée ou en état de secourir la ville dans un danger aussi pressant. On n’avait à choisir qu’entre les Vénitiens et Sforce. Les Vénitiens étaient détestés comme ennemis éternels du peuple milanais; on venait d’égorger leur ambassadeur : les recevoir dans la ville, c’était se donner des maîtres implacables. Sforce au contraire était un héros, le gendre, l’héritier du dernier duc. Le cri de vive Sforce ! termina la harangue, et de bruyantes acclamations proclamèrent le nouveau duc.On courut lui rendre compte decetle révolution; il était en marche, et il avait si bien compté sur le succès des intrigues de ses partisans, qu’il faisait porter à sa suite des vivres pour les distribuer à cette population que la faim venait de lui soumettre. Le 26 février, il arriva à la porte neuve : là, quelques généreux citoyens, parmi lesquels on cite Ambroise Trivulce, demandèrent qu’il s’engageât à ne porter aucune atteinte aux immunités de la ville; mais on leur imposa silence : le duc poussa son cheval, entra sans condition, alla descendre à la porte de la cathédrale, y fit une courte prière, répartit ses troupes dans la ville, fit désarmer le peuple, distribuer quelques vivres, et retourna dans son camp. Dans le mois de mars il soumit toutes les autres villes de Lombardie; fut reconnu par toutes les puissances, excepté par le roi de France et l’empereur ; et le 2\5 mars 14!i0, il fit son entrée solennelle, suivi de Blanche Visconli, sa femme, et de ses enfants. On lui avait amené un char, un dais; il voulut entrer à cheval, prit sur l’autel la couronne, le sceptre et l’épée, reçut le serment de fidélité de la noblesse et de la commune, et bientôt if vit sa cour peuplée d’ambassadeurs. XI. A la première nouvelle de la révolution de Milan, les troupes vénitiennes se hâtèrent de repasser f'Adda, et se retirèrent dans le pays de Ber-gaine. El les y furent renforcées (le quelques troupes, auparavant à la solde de la république milanaise, qui leur furent amenées par quelques chefs mécontents, entre autres par Jacques Piccinino. Mais, au lieu de reprendre d’abord les hostilités, la seigneurie s’occupa de former une nouvelle ligue. Elle y entraîna le duc de Savoie, le marquis de Montferrat, les villes de Bologne et de Pérouse ; et cette ligue compta pour son principal allié le roi de Naples, Alphonse d’Arragon. Les Florentins, dirigés alors par Cosme de Mcdicis, refusèrent d’y accéder et furent traités en ennemis. Tous ceux de leurs compatriotes qui se trouvaient dans les pays de la domination vénitienne, reçurent ordre d’en sortir. Les préparatifs de cette guerre, dans laquelle on voulait présenter quinze mille chevaux et huit mille hommes d’infanterie, coûtèrent à la république trois cents mille ducats. Les provinces de terre-ferme en fournirent quatre-vingt mille, de nouvelles impositions pourvurent au surplus; et, profitant du prétexte qu’offrait le projet d’une nouvelle croisade, on obligea le clergé à verser la moitié de scs revenus. A la fin de la campagne, il fallut un nouveau fonds d’un million de ducats.