582 HISTOIRE DE VENISE. confluent. Le duc de Ferrare secondait les opérations des Français, et il en coûta aux Vénitiens une nouvelle flotte, qui s’était hasardée dans les eaux intérieures. Le pape, dès qu’il reçut l’avis de la marche de Trivulce, partit pour se mettre à la tète de ses troupes, et forcer ses généraux à livrer bataille. Mais on lui rendit compte qu’il y avait sur sa route, dans un village qu’il fallait traverser, un petit corps à sa solde qui s’était mutiné, faute d’être payé exactement; ce contre-temps, auquel il ne pouvait remédier dans le moment, l’obligea à revenir sur scs pas. Rentré dans Bologne, il apprit que le maréchal de Trivulce marchait sur lui. Pour cette fois, il n’y avait pas moyen de l’attendre ; Jules se retira à Forli. II en coûta la vie à un cardinal pour avoir osé blâmer cet entêtement, et évacué la place dont il était gouverneur (I). L’armée papale voulut faire un mouvement sur Bologne, pour sauver cette place; les bourgeois lui fermèrent leurs portes, mirent en pièces une statue de Jules, ouvrage de Miehel-Ange (2), chassèrent le légat, appelèrent les Français. Ceux-ci tombèrent sur l’armée de l’Église, qui s’enfuit en déroute. Le pape s’éloigna jusqu’à Ravenne. Il n’aurait tenu qu’à Trivulce de pousser ses conquêtes (1) « En oultre, madame, que est encore plus énorme, le duc d’Urbin, nepveu dudit pape, et le chief de son armée, samedi au matin, en rencontrant sur le marché de Ravenne le cardinal de Pavie (gouverneur de Bologne), luy bailla d’un poignal en l’estomaque et incontinent sur le lieu mesme le fist achever de tuer par ses serviteurs, à cause tant seulement, comme l’on dit, que ledit cardinal, en présence de plusieurs, lui dit que par sa mauvaise conduite avoit été occasion de tel inconvénient. » (Dépêche de Ferry-Carondelet à Marguerite d’Autriche. Recueil des lettres de Louis XII, t. Il, p. 246.) o Madame, ce malin je suis averty à certe de la mort du cardinal de Pavie, qu’est que le pape ayant entendu que ledit cardinal s’étoit parti de Bologne en habit dissimulé, de quoy icelle sainteté n’estoit bien contente de son parlement, et entendant qu’il venoit en sa cour devers luy, tout courroucé incontinent manda que l’on ne le laissât venir, et alors le duc d’Urbin, qui estoit ennemy dudit cardinal, et pour les mauvaises paroles qu’avoit dit le pape, luy alla au devant et luy donna d’un poignard au corps, et les autres de la garde dudit pape l’achevèrent de tuer. » (Lettre d’André de Burgo, ambassadeur de Maximilien, à la même. Même recueil, 1.11, p. 251.) (2) o Certains du peuple, indignés contre le pape, prin-drent la statue dudit pape et luy tirèrent jus la tête ; puis, par contempnement, brûlèrent publiquement le reste, disant dudit pape ce que bon leur sembloit. Tantost aprez prindrenl aussi ung certain evesque et le menerent assez honteusement par la ville, lequel à la fin à coups d'épée entre eulx tuèrent. » (Recueil des lettres de Louis XII, t. II. p. 244.) (3) On peut voir dans le Recueil des lettres de Louis XII, t. II, p. 253,le rapport que le maréchal de Trivulce adressa plus loin, car déjà Imola lui envoyait ses clefs (5), si des ordres de Louis XII ne fussent venus lui prescrire de s’arrêter sur les frontières de l’Etat de l’Église. XI. Au lieu de vaincre le pape à coups de canon, on voulait le combattre avec les armes spirituelles. L’empereur et le roi le firent citer au concile qu’ils venaient de convoquer à Pise (4). Si on a eu occasion de reprocher des fautes à Louis XII, on ne peut (rop louer sa modération (8). Non-seulement il arrêta la marche de son armée victorieuse, mais il défendit de célébrer, par aucunes réjouissances, des succès obtenus sur le chef de la chrétienté. 11 fit encore offrir la paix à Jules, qui n’était pas fâché de gagner du temps; mais qui persistait à vouloir dicter des conditions, telles qu’aurait pu les prescrire un vainqueur irrité (6). Ce qu’il y a d’incroyable, c’est que le roi rappela son armée dans le Milanais, et congédia presque toute son infanterie:c’était une faute qui se renouvelait tous les ans. Le pape, à qui le futur concile ne laissait pas de causer quelque inquiétude, voulut affaiblir l'autorité de cette assemblée, en lui en opposant une autre qu’il convoqua de son côté. au roi sur cette expédition. « De leurs gens de pied qui avoient gaigné la montaigne en a esté tué environ trois mil. Ceulx de Boulongne ontprins environ 1,500 chevaulx, et nos gens en ont prins environ 700, et pareillement gagné plusieurs bagages, tentes et pavillons et environ 40 pièces d’artillerie, entre lesquelles il y en a six pièces grosses, et avons suivi lesdits ennemis jusques auprès d’Vmole, et par ma foi, sire, vous estes grandement tenu à tous vos capitaines que avez icy, qui seroit un long dire à les ramenle-voir trelous, qui se sont portés très-dignement et vertueusement, et je ne veulx point que cette déconfiture en «cachiez qu’à moi, mais à leurs vertus. Sire, qu’il vouldroit envoyer les enseignes et banières qui ont esté prinses, il y en a pour charger ung mulet, entre les aullres celle du pape: belle, pompeuse, qui a ses armes et si superbes, c’est celle de sa personne. (4) Les lettres des cardinaux à l’archiduc d’Autriche et à Marguerite d’Autriche, pour la convocation de ce concile, sont dans le Recueil des lettres de Louis XII, toin. Il, p. 235. (5) « Le roi ne sçauroit montrer plus humble de ce qu’il fait, et à ceste heure se monstre tout enclin à la paix avec le pape. » ( Dépêche d’André de Burgo, ambassadeur de Maximilien en France, à Marguerite d’Autriche. Recueil des lettres de Louis XII, t. II, p. 250.) (6) Voyez les conditions que l’ambassadeur d’Ecosse proposait comme médiateur, dans le Recueil des lettres de Louis XII, l. Il, p. 114; et la réponse du pape, t. III, p. 2. Voyez aussi les dépêches sur ce sujet d’André de Burgo, ambassadeur de Maximilien à la cour de France, ibid. t. III, p. 7 et 20 ; et enfin les instructions du pape à ses ambassadeurs, t. III, p. 40, 48, 49, 50, et la réponse de Louis XII. p. 51.