LIVRE XL 177 disant que tout ce qui était en pays ennemi, ou pour les ennemis, était de bonne prise. Les représentations que Zéno lui adressa à ce sujet ne furent pas accueillies de manière à laisser espérer la moindre réparation de ces insultes. L’amiral vénitien, pour appuyer ces réclamations, ou pour protéger les vaisseaux de sa nation, rapprocha son escadre de l’escadre génoise. Elles se trouvèrent le C octobre 1403 sur les côtes de la Murée, dans deux rades différentes de l'ile de Sapienza, si fatale aux Vénitiens cinquante ans auparavant. Le lendemain elles s’aperçurent; dès-lors la bataille était inévitable, car les unê comme les autres redoutaient bien moins le reproche de l’avoir engagée que la honte de l'éviter. La flotte vénitienne suivait la flotte génoise; celle-ci revira de bord et lui épargna la moitié du chemin. Ici nous pouvons laisser le vainqueur lui-même nous raconter cette action. «Sérénissime prince, écrivait Zéno au (loge, « j’ai à rendre compte à votre seigneurie ducale, « que le six de ce mois j’appris que la flotte du ma-ii réchal de Boucicault était mouillée à Sapienza. i je prierai votre seigneurie d’ordonner une inlor->i malion contre ceux dont la mauvaise conduite a « sauvé les ennemis. Je n’ai rien à dire de la mienne. « Le maréchal de Boucicault m’a attaqué avec sa « galère sur laquelle il y avait près de trois cents « hommes, dont une partie de soldats français. « Pendant plus d’une heure j’ai eu à défendre ma « capilane contre cette galère et deux autres. L’en-« nemi est venu à l’abordage, nous avons eu à com-'< battre corps à corps sur notre propre pont ; nous HISTOIRE DE VEHISE. « avons été assez heureux pour le repousser. Une « seule de nos galères, celle de Léonard Moncenigo, ii est venue à notre secours cl nous a dégagés, en « chargeant les ennemis avec beaucoup de vigueur. « La capitane génoise était déjà hors de combat ; ii elle s’est retirée pouvant à peine faire manœuvrer ii vingt avirons. Si elle eut élé poursuivie elle tom-« bail entre nos mains , mais on n’a obéi à aucun « de mes signaux, cl je ne pouvais moi-même en-« treprendre celte chasse, n’ayant pas à mon bord « trente hommes en état de combaltre. Si nous n’a-ii vions eu affaire qu’à des Génois, la victoire aurait « élé bien plus complète. J’ai cru que l’honneur de « nos armes ne me permettait pas d’éviter celte bail taille. » Zéno négligeait de dire qu’il avait lui-même reçu une nouvelle blessure dans le combat. La victoire des Vénitiens était attestée par les trois galères prises avec leurs équipages et par la retraite des Génois. Cependant le maréchal de Bou-cicaull ne voulut jamais convenir de sa défaite. Il publia un démenti de la relation simple et mesurée de Zéno. 11 envoya un cartel à l’amiral, au doge lui-même, et de son autorité privée déclara la guerre à la république, sans s'inquiéter si Gênes était en état de la soutenir. Dans les premiers moments, il y eut quelques vaisseaux du commerce vénitien enlevés par des corsaires. Le gouvernement français lui-méme parut vouloir appuyer les violences de Boucicault. On mit en prison quelques marchands vénitiens venus à la loire de Montpellier, et on leur confisqua pour plus de trente mille ducats de marchandises. XV1I1. Mais lorsqu’on vit la république préparer un armement formidable, on prévit tous les dangers de cette rupture; des négociateurs arrivèrent à Venise pour traiter de la paix, et les deux peuples se réconcilièrent, en se rendant tout ce qu’ils s’étaient pris. L’indemnité des dommages faits parles Génois aux Vénitiens, dans le pillage de Berythe, fut réglée à cent qualre-vingt mille ducats. La relation de Zéno contenait un trait honorable pour les Français qui composaient la garnison des galères génoises. Un de ces Français, prisonnier de guerre, s’avisa de dire qu’il espérait prendre sa revanche, et tremper à son tour ses mains dans le sang vénitien, Par un oubli du droit des gens et de leur propre dignité, les magislrals de Venise firent pendre ce malheureux, et par un raffinement de cruauté, on lui taillada la plante des pieds, afin qu’d laissât sur la place St.-Marc l’empreinte sanglante de ses pas. Ces divisions si déplorables entre les deux peuples auraient favorisé les vues des Turcs et des Tar-lares, si Bajazel n’eut été dans les fers, et si d’autres projets n’eussent fait dédaigner à Tamcrlan la con- 12