LIVRE V. 79 , qu'aux faubourgs de Constanlinople. Il y a plus, u 011 parle d’un nouveau peuple déjà établi dans la « Natolie, peuple redoutable par son courage, par , son fanatisme, et par la haine qu’il a vouée au i nom chrétien. u Voilà pourtant les ennemis que vous iriez clier-. cher pour échapper à l’incommodité d’avoir pour . voisins les Padou'ans et le patriarche d’Aquilée. .( Avez-vous formé le projet de vivre en paix avec ■ tous ces peuples dont vous allez vous rappro-i; cher? Mais l’amitié des Grecs est toujours sus- • pecte; celle des Français, impuissante et oné-« reuse : enfin, je suppose que vous conserviez la i paix avec les uns et les autres; quel moyen de la « conserver avec les infidèles? « I)e deux choses l’une :ou vous partez pour faire « des conquêtes, et alors les projets de votre polili- i que sont subordonnés aux événements, ou bien « vous allez vous établir paisiblement dans un quar- ii lier de Constantinople ; mais conçoit-on l’exis-I! tencededeux gouvernements dans l’enceinte d’une même ville? Où sera notre sûreté dans un pareil ■ établissement? Quelle sera la condition de nos « concitoyens transplantés sur cette terre nouvelle? ■ Quelle sera la destinée de nos vieillards, de nos ■i parents, de tout ce que nous laisserons ici? Aban-ii donnés au fond de ce golfe, c’est alors qu’ils s’a-« percevront que ces plages sont tristes et stériles. | Le commerce, la richesse, la puissance, s’éva-« nouiront à la fois; un voisin ambitieux ne tar-' dera pas à se montrer entreprenant: nous appren-' dronsde loin que notre patrie est devenue sujette. ' Ceux d’entre nous qui pourront encore y aborder 1 trouveront la villedépeuplée, lescanauxensablés, ' les digues renversées, les lagunes infectes, nos édi- 1 fices démolis, leurs débris précieux transportés • ailleurs, nos trophées dispersés chez l’étranger, « quelques religieux errants sur les ruines de nio-'i nastères autrefois magnifiques, le peuple sans travail et sans pain, la religion sans pompe, le ina- 'i gistrat de quelque ville voisine dictant des lois dans ce palais où nous délibérons; et l’histoire dira que, pour écouter une ambition inquiète et 'i peu réfléchie, nous avons renoncé aux bienfaits les • plus signalés de la Providence, et détruit l’un des 1 monuments les plus admirables de l’industrie liu-'I mairie. » Non, s’écria l’orateur, en se jetant aux pieds d’un Christ qui décorait la salle, « Non, vous ne permettrez pas, ô notre divin Sauveur, que r nous abandonnions la patrie que vous nous aviez assignée; c’est vous qui en avez posé les fonde-' ments sur l’abtrne des mers; c’est vous qui l’avez 1 défendue et gouvernée. Daignez toucher le cœur 1 de ce peuple qui vous fut toujours fidèle ; qu’il ne se montre pas ingrat envers vous, et qu’il accom- ii plisse, sous une protection dont il a reçu tant de u témoignages, les destinées que vous lui réser-« vez. » Falier descendit alors de la tribune,les yeux pleins de larmes ; on alla aux voix : et une boule ou deux décidèrent du sort de Venise. Sous une infinité de rapports, la situation de Constantinople était certainement préférable. Mais de tels avantages ne sont que relatifs, et si les Vénitiens délibérèrent en effet sur le choix, ils firent sagement de préférer une position moins brillante, où ils trouvaient leur sûreté, et que leurs forces maritimes suffisaient àdéfendre.Transportédans l’Orient, ce peuple de commerçants et de marins, plus braves sans doute que les Grecs, mais moins lettrés, et considérés par eux comme des barbares, n’aurait pu y être supporté qu’en se confondant avec la population indigène et en en prenant la mollesse. Mais les difl'érencesde religion, de langue et d’intérêts, étaient autant d’obstacles à cette fusion. Jamais ils n’auraient eu assez de bras pour contenir la population, pour détruire trois ou quatre empereurs inquiets de-leur voisinage, ni surtout pour arrêter le nouveau torrent de barbares qui devaient bientôt fondre sur ces belles contrées. Ce n’était pas avec une trentaine de galères qu’on pouvait défendre une ville comme Constantinople. D’ailleurs les Vénitiens ne possédèrent jamais que le quart de la ville, et quand ils auraient pu devenir maîtres de toute cette capitale, que serait devenu le gouvernement de Venise au milieu de cette nouvelle population? Un gouvernement municipal pouvait convenir à un État qui était tout entier dans une ville. On peut admettre même chez une grande nation un gouvernement collectif; mais il faut que les intérêts du peuple et ceux de l’administration soient homogènes; il faut que ceux qui exercent les droits de tous, soient revêtus de leur magistrature par la confiance; que les patriciens, s’il y en a, soient dès longtemps environnés de considération : or conçoit-on ce que serait une poignée de citadins et de nobles, qui viendraient dans un pays, où leurs noms ne seraient pas même connus, imposer silence à toutes les vanités? De deux choses l’une : ou on aurait appelé les habitants du pays à siéger dans les conseils investis de la souveraineté, et alors les Vénitiens n’auraient plus été que des Grecs, et l'empire d’Orient aurait été une république; ou bien les Vénitiensauraient prétendu gouverner sans partage, et pour soutenir un tel gouvernement (en supposant la chose possible), il aurait nécessairement fallu donner une telle puissance à celui qui en aurait été le chef, que bientôt les conquérants n’auraient pas été plus libres que le peuple conquis. La puissance, la liberté, la conservation de la ré-