HISTOIRE I)E VENISE. de la donner, et que la fille du roi ne pouvait en hériter au préjudice d’un fils. Cet oubli des droits d’un héritier mâle ferait passer la couronne dans la maison de Savoie, avec laquelle le Soudan n’avait aucune relation. Le royaume de Chypre relevant d’une puissance musulmane, la succession devait y être réglée conformément aux lois musulmanes; on ne pouvait invoquer l’usage qui, chez les chrétiens, appelle quelquefois les femmes à hériter d’une couronne; et quant à l’exclusion que l’on prétendait opposer à Jacques, parce qu’il était né hors le mariage, les lois musulmanes étaient moins sévères à cet égard que celles des chrétiens, et même chez ceux-ci, les enfants naturels étaient souvent appelés au trône : le roi actuel de Portugal, le beau-père de Charlotte, l’était lui-même. A ces instances, Jacques ajouta toutes les promesses dont les princes ne sont jamais avares dans une pareille situation. Il offrit le tribut, l’hommage, tout ce que le Soudan voulut exiger; et celui-ci, trouvant une occasion de constater ses droits, reconnut son client pour héritier de la couronne de Chypre, le fit revêtir des ornements de la royauté, et écrivit au prince de Savoie (le céder sur-le-champ le trône, sous peine d’en être chassé. Louis de Savoie eut beau représenter qu’il était le mari de Tunique héritière des Lusignan;quecelui qui réclamait la couronne devait en être exclu, à cause de l’illégitimité de sa naissance. Le Soudan ne voulut entendre aucune de ces raisons, il fournit des troupes à Jacques; celui-ci débarqua dans Tile, où il fut secondé puissamment par les intrigues d’André Cornaro, et le premier château qu’il occupa fut mis sous la garde d’un Vénitien. Les Génois prirent le parti de la reine Charlotte et de son mari; c’en était assez pour décider la république de Venise à embrasser la cause de Jacques. Le roi et la reine se sauvèrent à Rhodes et ensuite à Naples, ne conservant qu’un vain litre, dont les ducs de Savoie se sont prévalus depuis, pour prendre la qualité de rois de Chypre et de Jérusalem. XIII. Jacques, paisible possesseur du royaume, témoigna sa reconnaissance à Cornaro par des faveurs royales; mais, entraîné par le goût des plaisirs jusqu’à la dissolution, il oublia l’alliance qu’il avait projetée avec la nièce de ce patricien. Le pape Pie II, qui, dans ce lemps-là, ne le traitait pas d’usurpateur, lui lit proposer une de scs parentes. Le roi préféra la lille d’un des princes de la Morée, mais il devint veuf peu de temps après. Alors André Cornaro renoua le projet formé longtemps auparavant, et, offrant à la fois la protection des Vénitiens et sa nièce, il détermina Jacques à accepter Tune et l’autre. Catherine Cornaro, adoptée par la repubii- que, apporta une riche dot, qui fut hypothéquée sur les villes de Famagouste et de Cérines. La jeune reine arriva sur une escadre vénitienne:et la seigneurie, en acquérant un droit sur deux villes importantes, se ménagea le droit de réversibilité sur la couronne que sa fille adoptive allait porter. Ceci se passait en 1469. Trois ans après, le roi Jacques mourut, laissant sa veuve enceinte et trois enfants naturels, dont deux garçons et une fille, et on ne manqua pas d’attribuer au poison une mort prématurée. Par son testament, il déclara que, si la reine mettait au monde un fils, ce fils hériterait du royaume et resterait, pendant sa minorité, sous la tutelle de sa mère et de son oncle André Cornaro ; que, si la reine accouchait d’une fille, le royaume serait partagé entre la fille et la mère, et qu’enfin, à défaut d’enfants légitimes, la couronne serait dévolue aux enfants naturels, suivant Tordre de pri-mogéniture (1472). Il résultait de cet état de choses une complication de chances et d’intérêts, dont tous les partis espéraient profiter.Le roi Jacquesavait recommandé son royaume et sa veuve à la république. Cette recommandation était peu nécessaire : depuis plusieurs années, la seigneurie entretenait constamment une escadre en station dans les rades de l’île, et, de temps en temps, la grande flotte, qui faisait alors la guerre aux Turcs, venait faire des apparitions sur ces côtes. Dès que le roi eut fermé les yeux, l’amiral vénitien se rendit auprès de Catherine, qui prit sans obstacle les rênes du gouvernement. 11 reçut, quelques jours après, une lettre de l’autre reine, Charlotte, épouse du prince de Savoie, qui réclamait ses droits et invoquait la justice des Vénitiens, anciens alliés de sa maison. Cette lettre ne pouvait être considérée que comme une protestation, car il était aisé de prévoir qu’il n’y avait rien à en espérer. L’amiral n’avait garde d’admettre une pareille réclamation; il n’hésita pas à répondre que le roi Jacques avait succédé légitimement à son père, et la reine Catherine à son mari; que celle-ci était la fille adoptive de la république, et que les Vénitiens étaient d’autant plus obligés à défendre cette couronne, qu’ils y étaient appelés par droit de réversibilité. Une telle lettre repoussait bien loin les justes prétentions de la fille légitime des Lusignan, mariée d’ailleurs à un prince sans capacité. Peu de temps après, sa rivale accoucha d’un fils, qui fut tenu sur les fonts baptismaux par le général vénitien et les provéditeurs. Mais il existait dans l'ile plusieurs partis : les uns regrettaient la fille du vieux roi Jean : les autres