120 HISTOIRE DE VENISE. L’exemple d’Alexis Calerge, que la république avait reçu en grâce, séduisit ce nouveau chef; il oublia qu’un rebelle ne doit jamais se fier à ceux contre qui il a pris les armes ; il se rendit auprès du gouverneur, qui, sans autre forme de procès, le fit lier dans un sac et jeter à la mer. Cette perfidie ralluma la guerre, et il fallut encore répandre du sang pendant deux ans, pour recouvrer sur ces peuples une autorité si souvent méconnue. Jean Soranzo mourut en 1527. Ce doge, qui, avant de monter sur le trône, avait paru à la tête des armées de la république, fut un de ceux qui méritèrent le mieux de la patrie. Zara recouvrée sans effusion de sang, une courte guerre avec les Génois terminée par une victoire, une longue paix, furent les fruits de sa sagesse. Il prouva que, même dans dans les Etats où 011 ne laisse aux chefs qu’une autorité très-bornée, leur caractère influe, pour le bonheur ou pour le malheur public, dans les résolutions du gouvernement, et que les princes ont toujours de l’autorité quand ils ont de la modération. III. Venise vit avec joie François Dandolo élevé sur le trône; la couronne était un juste dédommagement des aflïontsqu’ilavailcssuyés à la cour pon-pontilicale (1327). On avait, sous le règne précédent, forcé les Génois de l’éra à payer une contribution, mais on ne s’était pas réconcilié avec cette république. Elle avait en mer une escadre de six galères qui rencontra et prit deux vaisseaux vénitiens. Aussitôt huit galères de Venise sortirent pour venger cette insulte; malheureusement le commandement en avait été donné à un officier inhabile. Thomas Viari, ayant rencontré les six galères génoises, les attaqua sans savoir profiter de l'avantage du nombre. Battu complètement, ayant vu cinq de scs vaisseaux pris par l’ennemi, il se réfugia, avec les trois autres, dans Venise, où cette défaite excita une indignation générale. La voix publique réclama hautement la punition de l’amiral; il fut condamné à terminer ses jours dans une prison. La république avait une grande flotte toute prête pour transporter dans la Palestine l’armée du roi de France, Charles IV, qui avait embrassé le dessein d’une nouvelle croisade ; mais, au lieu d’entreprendre cette expédition, le roi tourna ses armes contre l’Angleterre; et la flotte, devenue disponible, alla désoler, dans le Levant, le commerce des infidèles. Elle rentra dans ses ports avec un riche butin, mais sans avoir eu occasion de combattre. IV. Les révolutions des villes de l’Italie septentrionale avaient fini par établir la domination de quelques seigneurs puissants. Les divisions du saint-siège et de l’empire a’vaient favorisé toutes ces usurpations faites aux dépens de l'un ou de l’autre. Le pape Benoit XI, pour s’attacher les seigneurs mécontents de l’empereur Louis V, les déclara possesseurs légitimes des places qu’ils avaient envahies. L’empereur, voyant avec quelle libéralité le souverain pontife disposait des terres de l’empire, ne se montra pas moins généreux du bien d’autrui, et confirma dans leurs usurpations tous ceux qui s’étaient emparés des domaines de l’Église. Mastin de la Scala, que nous appelons l’Escale, et qui était déjà seigneur de Vérone, avait réuni sous son obéissance Trévise, Vicence, Bassano, Brescia, Parme, Reggio, Lucques, et avait dépouillé les Carrare de la souveraineté de Padoue. C’était, comme on voit, une grande principauté, puisqu’elle s’étendait depuis les bords ds l’Adriatique jusqu’à la mer de Toscane. A Vérone, tout annonçait la grandeur du inaitre; un ambassadeur envoyé vers lui le trouva entouré de vingt-trois princes détrônés, dont sa cour était devenue la prison ou l’asile. Sa capitale était le centre des lettres et des lumières. Tout ce qu’il y avait dans ce temps-là d’hommes remarquables par leurs talents, trouvait un accueil flatteur à la cour de la Scala, ou était prévenu par des marques de sa munificence. Tant de prospérités n’avaient pu que lui faire beaucoup d’ennemis, entre lesquels Marsile de Carrare était d’autant plus dangereux qu’il cachait son ressentiment sous toutes les apparences de la soumission et même du dévouement. On prétend que la Scala avait séduit la femme de Carrare. Celui-ci n’en avait fait éclater aucun ressentiment; cependant il avait fait surmonter de deux cornes d’or le cimier qui couronnait ses armes, pour éterniser le souvenir de son injure. La Scala était trop puissant pour être attaqué à force ouverte; mais il était enivré par la prospérité, et par conséquent facile à entraîner dans des entreprises qui pouvaient lui devenir funestes. Tél fut le plan que Marsile Carrare se traça. L’historien Sanuto raconte, qu’envoyé à Venise par le seigneur de Vérone, Carrare saisit l’occasion d'une cérémonie publique, où il se trouvait placé près du doge, pour lui dire tout bas: « Si quelqu’un « vous rendait maître de l’adoue, comment le ré-« compenseriez-vous? » A quoi le doge répondit : « Nous la lui donnerions. » Ce fut la première base de l'alliance secrète entre les Vénitiens et l’époux offensé. Revenu à Vérone, Carrare représenta à son maître que, puisque son territoire s’étendait jusqu’aux lagunes, il y aurait un immense avantage pour lui à y établir des salines; qu’il était honteux de laisser le privilège et les bénéfices de ce commerce aux Vénitiens, lorsqu’on était assez puissant pour le leur arracher.