LIVRE Xf£. 519 roi d’Espagne, du duc de Milan et de la république, de huit mille pour chacun. XIII. Le lendemain de la signature de ce traité, l’ambassadeur de France fut invité à se rendre au sénat, où plus de cent sénateurs, la tête haute et l’air riant, se trouvaient réunis. Là, le doge lui déclara que la république venait de conclure un traité pour la défense de la chrétienté conlre les Turcs, et pour la sûreté de ses propres États et de toute l'Italie; ajoutant qu’on le priait d’en informer le roi, la seigneurie ayant jugé à propos de rappeler les ambassadeurs qu’elle avait auprès de lui. Com-mines, quoiqu’il fût troublé de cette nouvelle, ne voulut pas avoir l’air de l’apprendre dans l’instant, et répondit que dès la veille il l’avait mandée au roi. Là dessus 1e doge lui dit que les intentions des confédérés n’avaient rien dont le roi dût prendre de l’ombrage; mais que seulement ils avaient cru se devoir à eux-mêmes de rassurer l’Italie alarmée par l'occupation de tant de places que le roi retenait, quoiqu'il se fût engagé à les évacuer après la conquête de Naples; qu’au lieu de s’en tenir à cette conquête, comme il l’avait annoncé, il commandait en maître dans la Toscane, occupait le territoire de l’Église, et paraissait menacer le duché de Milan. A ces reproches, Commines répliqua que les rois de France avaient toujours favorisé l'accroissement de la puissance du saint-siége, au lieu d’y porter atteinte ; et qu’il prévoyait que la ligue que la seigneurie venait de lui notifier, apporterait plutôt le trouble que la paix dans l’Italie. Après ces mots il se leva , mais on le pria de se rasseoir, en lui demandant s’il n’avait aucunes propositions à faire pour la paix, à quoi il répondit qu’il n’y était pas autorisé. Commines n’en ajoute pas davantage dans son récit; mais les autres historiens racontent qu’il s’écria, qu’à ce qu’il voyait, on voulait fermer le passage au roi pour l’empêcher de retourner dans ses États. « Il le pourra, reprit le doge, s’il » se conduit en ami ; et à cette condition, il ne rc-" cevra de nous que de bons offices. » L’ambassadeur se relira, mais si troublé qu’il ne se souvenait plus, au bas de l’escalier, des paroles du doge, et qu’il pria l’officier qui le reconduisait de les lui rappeler. Il aurait été bien plus effrayé, s'il avait su que, par les articles secrets du traité, le roi d’Espagne devait fournir des troupes au roi de Naples, afin de le remettre en possession de scs États, et que les Vénitiens devaient attaquer par mer les places qui s’étaient soumises à Charles, tandis que le duc de Milan et l’empereur opéreraient une diversion, l’un en l’iémont, l’autre sur les fronlières de France. XIV. Il n’y avait pas un moment à perdre. Charles se détermina à quitter sa conquête. Cinq cents hommes d’armes, quelque infanterie française, et deux mille cinq cents Suisses furent tout ce qu’il laissa à Gilbert, comte de Montpensier, prince du sang, pour défendre et contenir le royaume (1). Ces faibles moyens n’auraient pas suffi pour un homme de tête : qu’en espérer dans les mains d’un prince brave, mais inappliqué, et qui ne se levait jamais qu’à midi? Le roi nomma pour toutes les places des gouverneurs qu’il combla de bienfaits, mais cela ne suffisait pas pour s’assurer d’une bonne défense. Il aurait fallu leur donner de fortes garnisons et des places bien approvisionnées. De deux choses l’une : ou le roi, avec une armée réduite à douze ou quinze mille hommes, se croyait en état de soutenir la guerre en Italie, ou bien il ne jugeait pas pouvoir se dispenser de repasser les Alpes. Dans le premier cas, au lieu de perdre le temps à Naples en vaines cérémonies, il fallait en partir avec toutes ses forces, tomber sur la coalition, avant qu’elle eût réuni ses armées, et détacher de la ligue, par la terreur, le pape et le duc de Milan ; leur défaite lui répondait assez de la fidélité de Naples. Dans le second cas, il fallait abandonner tout-à-fail ce royaume, et marcher à grandes journées vers les Alpes. 11 voulut faire les deux choses à la fois; ce qui prouve beaucoup moins l’étendue de ses vues et de son courage, que l’irrésolution d’un esprit qui ne sait à quel projet s’arrêter. Il lui restait neuf cents hommes d’armes, y compris sa maison militaire, deux mille cinq cents Suisses, deux mille hommes d’infanlerie française, et environ quinze cents hommes en état de porter les armes, qui étaient à la suite de l’armée. Cela formait un corps de neuf mille combattants tout au plus, avec lequel il s’agissait de traverser l’Italie. Celte petite armée n’était pas encore partie de Naples, que déjà Ferdinand avait opéré son débarquement dans la Calabre, à la tête de quelques troupes espagnoles. Charles se mit en marche le 20 mai, peu de jours après la cérémonie de son couronnement. Il arriva sans difficulté dans l’Élat de l’Église, traversa Rome, d’où le pape s’élait enfui, et sc renforça des garnisons qui avaient occupé jusqu’alors les places intermédiaires. Chemin faisant, on saccagea la petite ville de Toscanella, qui avait refusé de loger les troupes. Quand Charles fut arrivé en Toscane, il s’arrêta sept jours à Sienne et autant à Pise, sans nécessité, et demanda en riant à Commines, qui était venu l’attendre en Toscane, s’il croyait que les Vénitiens (1) « Cela faisoit environ quatre mille hommes. » (Mont-faucon, Monuments de la monarchie française, t. IV, p. 45.)