10 HISTOIRE DE VENISE. pas pour prouver queles dogesen jouissaient, et nous en verrons plusieurs engager, sans son aveu, la république dans une guerre pour leurs intérêts de famille. Sans doute il n’était pas naturel que des bommes sages, courageux, voulussent se donner un maître. Quand 011 a joui de l’indépendance, on n’en peut plus faire volontairement le sacrifice. Mais il y avait désordre dans l’État, haine contre les magistrats actuels, rivalités d’ambition, menaces de l’étranger, péril imminent; et les passions conseillent toujours des partis extrêmes. On ne voit pas comment les lois étaient délibérées, comment les impôts devaient être établis. Ces théories n’avaient pas encore été analysées. Il est probable que le peuple concourait plus ou moins immédiatement à ces délibérations. Mais, quoi qu’il en soit, l’excès de la confiance accordée au dépositaire du pouvoir ne fut que trop prouvé,dans la suite, par les tentatives de beaucoup de doges pour rendre cette dignité héréditaire dans leur famille, par la mort violente de plusieurs, et par les changements que subit enfin la forme de l’autorité. XVII. Il est ordinaire que ceux que la fortune appelle les premiers à gouverner un Etat soient de grands hommes. Le premier duc de Venise réussit à faire cesser les divisions qui déchiraient la république. Héracléc était alors le centre du gouvernement et la résidence du prince. Paul-Luc Anafeste fil construire des arsenaux, s’assura d'un nombre de vaisseaux suffisant pour écarter le&-pirates, et, dans la vue d’obtenir une entière sécurité du côté du continent, conclut avec le roi des Lombards un traité par lequel les Vénitiens conservèrent la possession de la côte qui s’étend entre la grande et la petite Piave. On ajoute même que ce traité renfermait des clauses favorables au commerce des Vénitiens, et leur assurait déjà des privilèges dans la Lombardie. Le doge fit bâtir des forts à l’embouchure de ces fleuves, et, après vingt ans d’un règne dont rien ne troubla la paix, il laissa Venise tranquille, florissante et respectable. Marcel Tcgaliano d’Héraclée lui succéda, en 717, dans sa dignité et dans ses sages maximes. Aucun événement mémorable n’illustra son administration. Il laissa le trône ducal en 726 à Urse. Celui-ci était d’un caractère entreprenant, belliqueux. Il exerça la jeunesse vénitienne aux armes, et chercha l’occasion de lui faire faire l’essai de son courage. Cette occasion se présenta bientôt. . XVIII. Le roi des Lombards, Luitprandt, s’était emparé de Ravenne. Cette ville était gouvernée sous l'autorité de l’empereur d'Orient, par un ministre qui prenait le titre d’exarque. L’exarque se réfugia à Venise. Le duc l’y accueillit; et le pape, qui avait un grand intérêt à empêcher les progrès des Lombards, écrivit au prince pour réclamer ses secours en faveur de l’illustre exilé. Cette lettre était adressée au duc des Vénitiens : « Le Seigneur a permis, à cause de nos péchés, « disait le pape, que l'infidèle nation des Lombards « s’emparâtde la cité de Ravenne, si éminente entre « les églises. Nous avons appris que notre cher fils, ii le seigneur exarque, s’était réfugié à Venise : nous « exhortons votre noblesse à adhérer à sa demande, « et à prendre les armes en notre considération, afin « de rendre à son ancien état la ville de Ravenne, « si recommandable par son zèle pour notre sainte « foi, et de la rétablir sous la puissance de nos chers « fils et seigneurs, les grands empereurs Léon et « Constantin. » On voit que le pape ne suppose point que le concours des Vénitiens dans cette affaire fût un devoir envers l’empire, et qu’il s’adresse directement au duc, au duc seul, sans faire mention d’aucune autre autorité. Urse ne demandait pas mieux que de-se rendre à cette prière; cependant la circonstance était délicate. D’un côté on était en paix avec les Lombards; on avait traité récemment avec eux*on devait craindre de s’attirer, par une agression injuste, l’inimitié de voisins si puissants; de l’autre, ces voisins étaient déjà des ennemis ; si on les laissait maîtres de Ravenne, ils n’en étaient que plus dangereux. On ne leur avait pas promis de voir leur usurpation sans en prendre de l’ombrage ; et il était utile, instant, de les obliger à se renfermer dans leurs limites. L’occasion était favorable, leur roi Luitprandt était occupé ailleurs; Ravenne était mal gardée, sans défense du côté de la mer; le pape et les empereurs sauraient gré aux Vénitiens de cette entreprise, dont le succès n’était pas douteux. Ces raisons furent exposées dans une assemblée où on fit lecture de la lettre du pape, où l’exarque se présenta lui-méme pour solliciter les secours; et il fut résolu qu’on les lui accorderait. On arma diligemment une flotte, et pour donner le change, 011 répandit de faux bruits sur sa destination. L’exarque feignit d’être chassé par les insulaires. Il se retira vers Imola où il rassembla quelques troupes, comme pour attaquer cette dernière ville. Tout à coup il se présenta devant Ravenne, presque au même instant où les Vénitiens, sortis la veille de leur port, jetaient l’ancre à la vue de la place. Le débarquement s’opère. Les Lombards surpris ne savent de quel côté faire face. Tandis que l’exarque s’avance, les Vénitiens appliquent leurs échelles aux murailles, enfoncent une porte voisine de la mer; les troupes de l’exarque pénètrent aussi; des deux chefs