144 HISTOIRE DE VENISE. Voici quelles en étaient les clauses principales : 1° Que les limites des deux Etats seraient réglées par une commission composée entièrement de Vénitiens; 2° Que le prince paicraitunccontributiondedeux cent cinquante mille ducats, savoir:quaranle mille sur-le-champ, quinze mille d’année en année pendant quatorze ans, et une offrande annuelle de trois cents ducats à l’église de Saint-Marc, pendant le même temps. C’était, comme on voit, une contribution d’à peu près trois millions de notre monnaie ; outre ce qu’il faut ajouter à cette somme pour avoir égard à la différence de la valeur relative de l’argent aux objets de première nécessité ; 3° Que tous les forts élevés par François Carrare seraient démolis, et qu’il ne pourrait en construire de nouveaux; 4° Que la tour de Curano et toutes ses dépendances jusqu’aux eaux salées, resteraient à la république ; !î° Que le seigneur de Padoue remettrait, comme gages de scs dispositions pacifiques, la ville de Fel-tre et quelques autres places ; 6° Que les négociants vénitiens seraient exempts de tous droits d’entrée et de sortie dans le Pa-douan ; 7° Que cette province tirerait tout le sel dont elle aurait besoin des salines de Chiozza ; 8° Enfin que le prince viendrait en personne à Venise, ou y enverrait son fils, pour demander pardon à la république, et lui jurer fidélité. Ces articles reçurent leur exécution. Le fils de François Carrare vint fléchir le genou devant la seigneurie, et ce fut Pétrarque qui composa et prononça le discours que le prince avait à faire dans cette pénible situation. XXIII. Cette paix, trop dure pour avoir été jurée avec sincérité, fut troublée au bout de trois ans par les intrigues de Carrare, qui, bien que devenu l’allié de la république, cherchait à lui susciter partout des ennemis. Le duc d’Autriche fut le premier qui, à son instigation, fondit sur le territoire des Vénitiens. Il n’avait point fait précéder les hostilités d’une déclaration de guerre. Ceux-ci auraient pu la soutenir sans désavantage, s’ils n’eussent vu se former un orage qui ne pouvait manquer d’éclater sur eux. Cette considération leur fit hâter la conclusion d’un arrangement avec le duc, auquel ils rendirent quelques places qu’ils lui avaient enlevées. Cette guerre, qui dura une partie de l’année 1376 et de 1377, n’est remarquable que par l’usage que les Vénitiens firent pour la première fois d’une arme nouvellement inventée. « C’est, dit l’auteur de la Chronique de Trévise, « un gros instrument de fer, ayant une large oüver-« ture et percé dans sa longueur. On y fait entrer « une pierre ronde sur une poudre noire composée « de soufre, de salpêtre et de charbon. On allume « cette poudre par un trou, et la pierre est lancée h avec une telle force qu’il n’y a point de mur qui « lui résiste. Ou croirait que c’est Dieu qui tonne.» A peine le duc d’Autriche venait-il de signer la paix avec les Vénitiens, que déjà une ligue était formée pour leur perte. Toutes les haines de leurs rivaux s’étaient unies au ressentiment de François Carrare. Les Génois, par une suite de celte jalousie commerciale qui depuis plus d’un siècle n’avait cessé d’ensanglanter les mers; le roi de Hongrie, qui voulait assurer sa conquête de la Dalmatie, en affaiblissant les voisins à qui il l’avait enlevée; le patriarche d’Aquilée, le plus ancien ennemi de la république ; les deux princes dont les frontières touchaient à la marche Trévisane, savoir, le seigneur de Vérone et celui de Padoue; enfin, ceux qui, en qualité de riverains de l’Adrialique, avaientà réclamer la libre navigation de cette mer, c’cst-à-dire la ville d’An-cône cl la reine de Naples : tels étaient les ennemis que Venise allait avoir à combattre à la fois. Tandis que les (lottes des uns l’attaqueraient par mer, les armées des autres devaient inonder ses petites possessions de la terre-ferme. Il était difficile de concevoir où celte ville, sans territoire, trouverait des soldats pour faire face à tant d’assaillants, et où scs vaisseaux trouveraient un asile dans cette mer dont tous les rivages étaient ennemis. XXIV. La république commença cependant celle guerre par une agression qui fit entrer une puissance de plus dans la ligue de ses adversaires. Cette agression fut amenée par une aventure romanesque, mais qui a toute l’authenticité des faits historiques. Un Paléologue, surnommé Calojean, à cause de sa beauté, régnait alors sur les débris du trône de Constanlinople. Effrayé des progrès des Ottomans, il avait voulu déterminer le pape à faire prêcher une croisade pour la défense de l’empire d’Orient, et n’avait point hésilé de venir à Rome se prosterner aux pieds d’Urbain V. Non-seulement il y avait abjuré les erreurs de l’Église grecque, confessé que la troisième personne de la Trinité procède du père et du fils, et qu’on peut consacrer l’Eucharistie avec du pain azyme; mais il avait juré l’abolition du schisme, promis de faire rentrer tous ses sujets dans la communon latine, et reconnu à l’Église romaine jusqu’à des droits contestés par des gouvernements catholiques. En récompense de tant de soumissions, le pape avait prodigué au prince renlré dans le giron de l’Eglisc, des recommandations qui devaient lui pro-