18C HISTOIRE DE VENISE. LIVRE XII. ACQUISITION DE ZARA ET DE QUELQUES AUTRES PLACES EN DALHATIE, 1)E LÉPANTE ET DE PATRAS.—TRAITÉ AVEC LES TURCS. —ACQUISITION DE QUELQUES VILLES SUR 1.E PO.—GUERRE AVEC LE ROI DE HONGRIE.—TREVE, 1406-1413. — LA SEIGNEURIE REFUSE LA VILLE d’aNCONE. — RUPTURE MOMENTANEE AVEC LES TURCS. —ACQUISITION DE CORIN THE.— MORT DE CHARLES ZÉNO.— GUERRE CONTRE I,E ROI DE HONGRIE ET LE PATRIARCHE d’aQUILÉE. — CONQUÊTE DU FRIOUI.. —ACQUISITION DE CATTARO.—SITUATION DE LA REPUBLIQUE APRÈS CES CONQUÊTES, 1413-1420. I. Pendant que la république portail sou ambition sur le continent, elle dut à une circonstance fortuite de nouveaux avantages pour son commerce maritime. Un fils de Jean 1er, roi de Portugal, s'étant obligé par un voeu à faire un pèlerinage à la Terre-Sainte, vint demander le passage aux Vénitiens. Il élail porteur de lettres par lesquelles le roi son père priait la seigneurie de l’accueillir favorablement, et, en reconnaissance, offrait aux négociants de Venise toutes sortes de franchises dans ses ports pendant cent ans; c’était beaucoup pour un si faible service. Comme déjà les vaisseaux vénitiens avaient appris à longer la côte occidentale de l’Europe et fréquentaient la mer du Nord, ce n’était pas pour eux un médiocre avantage de trouver un accueil et des privilèges dans des ports situés à moitié chemin. La seigneurie s’empressa de recevoir l’auguste pèlerin sur une escadre qui partait pour Bérylhe. Bizarre jeu de l’impénétrable fortune ! les Vénitiens accordaient passage sur leurs galères, pour la traversée «le la Méditerranée, à un prince dont la nation devait quelques années après frayer une nouvelle route aux navigateurs dans des mers inconnues, et, parcelle découverte, faire descendre les Vénitiens du premier rang qu’ils occupaient depuis si longtemps entre les peuples commerçants de l’univers. II. Vers le même temps un événement peu considérable en lui-même répandit dans Venise cette joie populaire à qui les gouvernements permettent quelquefois de se manifester sans la partager. Un cardinal vénitien, Ange Corrario, fut élevé au pontifi- cat. Une singularité assez remarquable, c’est que la mère de ce cardinal, Beriola Condolmier, fut sœur, mère et grand’mère de trois papes, savoir : mère de celui-ci, Grégoire XII, élu en 1400; sœur de Gabriel Condolmier, élu en 1431, qui prit le nom d’Eugène IV; et aïeule de Paul II, Pierre Barbo, élu en 146i. C’était la première fois que la nation recevait cette espèce d'illustration; mais la chaire de St.-Pierre n’était alors qu’un trône assez mal affermi que deux compétiteurs se disputaient. Depuis trente ans, l’Église donnait au monde chrétien le scandale de deux papes rivaux, se déclarant réciproquement illégitimes, intrus, schématiques, usurpateurs, s’anathémalisant l’un l’autre tour à tour, jetant dans les consciences l’incertitude et l’effroi, et offrant aux souverains le choix d’un pape selon leurs intérêts temporels. On en vit jusqu’à trois en même temps ; plusieurs furent déposés. On vit les cardinaux donner un compétiteur au pape qu’ils venaient d’élire. L’Italie fut ensanglantée par leurs rivalités : on se battit dans l’enceinte même des conciles, et les pères les moins belliqueux se sauvèrent par les fenêtres (1406). Le gouvernement vénitien, toujours peu disposé à favoriser l’ambition des ecclésiastiques, ne se départit point en faveur d’Ange Corrario de son système d’indifférence sur la rivalité des papes. Trois ans après, Grégoire XII, déposé par une sentence du concile de l’ise, fut remplacé par un cardinal, né sujet de la république, Pierre Philargi, qui était de Candie. L’ancien pape voulut passer de Bimini à Udine, où il avait convoqué les évêques de son obédience; la seigneurie défendit à tout le clergé véni-