318 HISTOIRE DE VENISE. vains projets contre l’empire turc, lorsqu’on n’avait ni flotte, ni troupes, ni argent, pour faire une expédition d’outremer, et de nouer quelques intrigues en Albanie, pour y préparer des soulèvements, lorsqu’on était hors d’état de les protéger. Les Vénitiens, qui en furent instruits, saisirent cette occasion d’acquérir la bienveillance de Bajazet. La révélation qu’ils lui firent (1) coûta, dit-on, la vie à quarante ou cinquante mille chrétiens. Dans cette disposition, la seigneurie prêtait une oreille favorable aux plaintes des autres puissances d’Italie, et travaillait à se mettre d’accord avec le roi d’Espagne et l’empereur. Le roi d’Espagne, Ferdinand d’Arragon, outre qu’il ne pouvait voir sans regret la branche bâtarde de sa maison chassée du trône de Naples, craignait, comme roi de Sicile, le voisinage d’un prince aussi puissant que CharlesVIII. L’empereur, dès longtemps jaloux de la France, en avait éprouvé récemment un double affront. Le roi venait de répudieret de lui renvoyer sa fille, et cela, pour lui enlever Anne do Bretagne, sa fiancée. Les ambassadeurs de toutes ces puissances, réunis à Venise sous différents prétextes, tenaient, dès le mois de février, c’est-à-dire au moment où Charles entrait dans Naples, des conférences, qui ne purent être tellement secrètes que l’ambassadeur de France, Philippe de Commines, ne parvint à en pénétrer l’objet. Il en porta des plaintes à la seigneurie : on chercha à le rassurer; mais on lui avoua les inquiétudes que les prospérités du roi donnaient à la république : on lui dit qu’elle ne pouvait voir, salis en prendre de l’ombrage, les troupes françaises occuper les places fortes de l’Etat de l’Eglise et de la Toscane ; que, quant aux conférence dont il croyait avoir à se plaindre, il avait été induit en erreur : que la république avait principalement deux objets en vue; l’un de se maintenir dans la bienveillance et l’amitié du roi; l’autre de prémunir l'Italie contre les entreprises des Turcs : que, puisque le roi paraissait avoir aussi des desseins contre les ennemis de la chrétienté, on le verrait avec joie entrer dans une ligue qui devait assurer la défense de l’Italie; que pour cela les Vénitiens s’empresseraient d’offrir leurs vaisseaux et d’avancer leur argent, à condition qu’on leur remettrait quelques ports du royaume de Naples, à titre de garanlie ; que, quant à ce royaume, la paix de l’Italie leur faisait désirer que le roi voulût bien se borner à en être le suzerain, à y tenir trois places, et à recevoir un tribut de Ferdinand; qu’ils se faisaient fort de déterminer le pape à agréer cet accommodement ; niais que (1) « Les Vénitiens, qui voyoient à contre cœur que le roi Charles se fût rendu maître du royaume de Naples, et qui ne souhaitoient rien moins que d’avoir un tel voiiin. avertirent les Turcs de se tenir sur leurs gardes;et le pape surtout ils ne pouvaient voir, sans inquiétude, le roi garder une chaîne de places depuis la frontière de Naples jusqu’au Piémont, après la déclaration solennelle qu’il avait faite que ses prétentions se bornaient à ce royaume. Cette réponse, plus ou moins sincère, contenait des propositions d’accommodement que Philippe de Commines s’empressa de transmettre au roi, mais il en reçut maigre réponse, ce sont ses expressions. Tout cela se passait avant qu’on eût reçu la nouvelle de l’entrée des troupes françaises à Naples; il y avait encore des chances pour qu’elles en fussent repoussées. Venise était le point d’où l’on observait les événements, et où on préparait les mesures pour écraser Charles dans le malheur, ou pour l’arrêter dans ses prospérités. Quand le sénat eut appris la prise de Naples, l’ambassadeur fut invité à se rendre au lieu des séances de la seigneurie. Là, le doge lui dit cette nouvelle avec beaucoup de démonstrations de joie, que les sénateurs présents ne surent pas si bien imiter. Cependant ils eurent soin d’ajouter que les châteaux n’étaient pas encore rendus; et leur malveillance, que cette observation décelait, fut encore plus manifeste, par la permission qu’ils donnèrent à l’ambassadeur napolitain de lever dans leur ville quelques gendarmes, destinés à renforcer les garnisons des places qui tenaient pour Ferdinand. Commines proteste qu’il ne cessait d’écrire aux gouverneurs français de se tenir sur leurs gardes, au lieutenant-général du royaume d’envoyer des renforts, et au roi de prendre le parti de s’accommoder. La prise de Naples etJa soumission de presque tout le royaume, en faisant perdre aux Vénitiens l’espérance que les armes françaises éprouveraient quelques revers, les tirèrent d’incertitude. La ligue qu’on méditait depuis si longtemps fut conclue, le dernier jour de mars 1495, entre l’empereur, le roi d’Espagne, le pape, le duc de Milan et les Vénitiens. L’objet avoué de cette ligue était la garantie réciproque que ces puissances se donnaient de leurs Etats; mais l’intervention de l’empereur, qui n’avait rien à démêler en Italie, décelait évidemment un autre objet. Les confédérés convinrent de rassembler une armée de trente-quatre mille chevaux, et de vingt mille hommes d’infanterie. Chacun des alliés devait fournir quatre mille fantassins. Quant à la cavalerie, le contingent du pape était de quatre mille; celui de l’empereur de six mille; celui du Alexandre leur en fit aussi donner des avis, pour se prémunir contre cette entreprise.'>'vMo?iTFAüC(»N, Monuments de la monarchie française, t. IV. p. 44.)