HISTOIRE DE VENISE. on s’en délivra, comme de scs prédécesseurs, et avec la même cruauté. Le doge qui lui succéda avait la qualité la plus désirable dans ceux qui sont revêtus du pouvoir, la modération (764). Maurice Galbaio, citoyen d’IIêraclée, fut de ces princes dont la mémoire ne s’est point conservée par des faits éclatants, mais par les bénédictions des peuples. La douceur de scs mœurs, et la sagesse de son administration, les lui méritèrent pendant vingt-trois ans. L’événement le plus important de son règne fut l’érection d’un siège épiscopal, qui fut placé dans la petite ile d’Olivolo, l’une de celles qui entourent Rialte. Rien ne prouve mieux le mérite de ce doge, et la justice que lui rendaient les Vénitiens, que la faute politique que la confiance leur fit commettre. Il y avait quatorze ans qu’il régnait : il avait un fils qu’il aimait tendrement, dont il cultivait les dispositions, et qui annonçait les qualités les plus heureuses. 11 eut la faiblesse, bien excusable dans un père, et bien ordinaire dans le chef d’une illustre maison, de désirer que ce fils lui fut associé de son vivant. Les Vénitiens s’empressèrent de donner cette marque de leur reconnaissance à ce prince si vertueux. Il vit son fils Jean associé à sa dignité, cl pendant neuf ans encore il partagea avec lui les soins du gouvernement. XXI. Sous le règne du père, la colonie avait été tranquille et heureuse; elle avait même obtenu place dans un traité conclu entre Pépin et l’empereur d’Orient, où il avait été stipulé qu’elle serait indépendante de l’un et de l’autre empire. Ainsi la liberté de Venise s’affermissait, pendant que l’Italie et le monde changeaient de face, que les armées de Charlemagne passaient les Alpes, et que le trône des Lombards s’écroulait. Il y a même des historiens qui prétendent que ce prince avait réclamé le secours des barques vénitiennes, pour accélérer la reddition de l’avie. La conduite du nouveau doge attira sur la république un terrible orage. Jean était de ces caractères d’autant plus affermis dans le vice, qu’ils sont plus dissimulés. Il avait trompé son père et scs concitoyens : affranchi de cette retenue que la vertu de Maurice lui imposait (en 787), on ne trouva plus en lui qu’un prince avide, insolent, violent et livré aux plus infâmes débauches. Il fit pourtant confirmer par le nouveau conquérant de la Lombardic le traité de limites conclu par ses prédécesseurs. Après neufans de tyrannie, Jean trouva le moyen de rendre son autorité encore plus insupportable, en demandant à la partager avec Maurice, son fils. Soit qu’on n’osât lui rien refuser, soit qu’on crut impossible de voir empirer le gouvernement, les Vénitiens y consentirent, et eurent à gémir, pendant une longue oppression, de la fatale condescen dance qui tendait à rendre le dogat héréditaire dans cette famille. Comme son père, le jeune Maurice avait commencé par dissimuler ses vices. Assis tous les deux sur le trône, ils rivalisèrent d’infamie et de cruautés ; les biens, les femmes et les filles des citoyens étaient fréquemment l’objet de leurs violences. Tout tremblait d’irriter des maîtres à qui le pouvoir paraissait assuré pour si longtemps. Sur ces entrefaites l’évêché d’ülivolo, c’est-à-dire de Rialte, vint à vaquer. Jean fit choix d’un Grec pour remplir ce siège; ce qui devait scandaliser et blesser le clergé vénitien. Le patriarche de Grado. refusa de sacrer le nouvel évêque qu’il regardait comme intrus. Le doge, courroucé de cette résistance, chargea son fils de la punir. Maurice se rendit à Grado, et fit précipiter le patriarche du haut d’une tour. Un pareil attentat, commis sur un personnage également vénérable parses vertus et parle caractère dontil était revêtu, ne pouvait qu’excitcr l’indignation du peuple. Telle était cependant la terreur que le doge avait su inspirer qu’on se borna à des murmures. 11 donna le patriarehat à Fortu- ' nat, neveu du prélat assassiné, qui l’accepta sans renoncer à la vengeance. Descalamités publiques vinrent se joindre à des malheurs privés déjà si déplorables. Les eaux des fleuves s’élevèrent à une hauteur qui menaça les iles des lagunes d’une entière submersion ; et un vent du sud, qui refoula vers le fond du golfe les flots de l’Adriatique, couvrit toutes les terres à plusieurs pieds de hauteur. Deux villes, voisines l’une de l’autre, Héraclée et Equilo, eurent des différends dont on ignore le sujet; les deux partis eu vinrent aux mains, et la république vit dans son sein une guerre civile. XXII. Fortunat, le nouveau patriarche de Grado, crut que ce temps marqué par des désastres était favorable à l’exécution de scs projets contre les assassins de son oncle. De concert avec Obclcrio, citoyen de Malamocco, tribun actuel, issu d’une famille tribunitienne, Demetrius Marmaro et George Foscaro, il conspira contre le doge et son fils ; mais la conspiration ayant été découverte, les conjurés sc sauvèrent. Iis se partagèrent les rôles : Obelcrio se tint à Trévise, pour y être à portée de conserver des correspondances avec les mécontents : Fortunat alla à la cour de France, avec le dessein d’inspirer à Charlemagne des soupçons ou de la jalousie contre le gouvernement de Venise. Ces manœuvres furent secondées par tous les ennemis que la république pouvait avoir à la cour de Pépin, assis depuis peu sur le trône des rois loin-! bards. et Venise se vit menacée par toutes les for-