370 CHAPITRE XXII. ne se rendait guère compte des difficultés que leur application pouvait présenter. Le prince de Ligne disait de lui, quelques semaines avant son avènement: « Ce sera un homme qui aura des velléités et qui ne les satisfera jamais; son règne sera une envie continuelle d’éternuer. » On a fait remarquer que la plupart des innovations de notre assemblée constituante avaient été d’abord essayées par Joseph II ; mais les réformes brutales de la Révolution s’appliquaient à un peuple homogène et bien plus éclairé que ne l’était l’ensemble des peuples autrichiens ; beaucoup d’entre elles n’auraient peut-être pas réussi à entrer dans les mœurs si elles n’avaient eu pour sanction les excès de la Terreur et le despotisme d’un Napoléon. Le roi philosophe, Joseph II, considérait les hommes comme une matière inerte, malléable à volonté et sur laquelle un souverain peut faire sans scrupule des expériences in anima vili. Celles qu’il tenta dans son empire vinrent tout à la fois trop tôt et trop tard : trop tôt, parce que la plupart des esprits n’étaient pas mûrs pour les idées de libre pensée et de tolérance religieuse que lo souverain prétendait imposer, trop tard, parce que la conscience de l’individualité nationale commençait à se réveiller chez les peuples, que Je souverain prétendait civiliser en les germanisant. Confiné par sa mère dans la direction des affaires militaires, Joseph II croyait pouvoir gouverner ses états comme on mène un régiment; il prétendait faire de la philosophie « la législatrice de son empire. » Les travaux des encyclopédistes et des économistes français, notamment des physiocrates étaient sa lecture favorite ; pendant son voyage à Paris il avait fait la connaissance de Nccker, de Turgot, de Buffon, de Rousseau, de Marmontel et de d’AIembert. L’Autriche ne pouvait lui fournir, pour la réalisation do ses plans, des auxiliaires d’une pareille valeur. Ceux dont il s’entoura, von Iiressel, vonGebler, Martini, Gott-fried van Swieten, le juif converti Sonnenfels, Rautens-trauch, etc., appartenaient pour la plupart aux sociétés