94 BULGARES, TURCS ET SERBES « l’image parfaite de la prostration et de la tristesse... Autant les Turcs étaient « calmes et dignes, autant la populace grecque se montre coupable. N’osant « pas encore insulter ses maîtres désarmés, elle s’est mise à piller avec fré-« nésie, hurlant, se battant et blasphémant; les Turcs ont laissé tout enlever « sans mot dire *. » Qu’on lise après cela le rapport de M. Machkov et les commentaires des autorités bulgares sur ce qui s’est passé, au moment même de l’entrée de leurs troupes: il ne reste qu’à encadrer ces récits dans le tableau de P. C. pour en comprendre la portée significative et la parfaite concordance. Commençons par le sort vraiment effroyable des prisonniers enfermés dans l’île de la Toundja, appelée Saraï Eski. Un membre de la Commission s'est rendu dans cette île. Il a vu les arbres, dont l’écorce fut arrachée, jusqu’à hauteur d’homme, par les prisonniers affamés (fig. i4)- Il a rencontré sur place un vieux Turc qui avait passé là une semaine et qui disait avoir mangé lui-même de cette écorce. Un jeune garçon turc, qui gardait du bétail dans l’île, ajoutait qu'il avait observé de l’autre rive que les prisonniers mangeaient de l’herbe et il montrait à l’enquêteur, par son geste, comment ils le faisaient. Le général Vasov a déclaré dans sa déposition (Annexe n° 75) qu’il autorisa les prisonniers à prendre l’écorce des arbres pour faire du feu, et d’autres témoins dignes de foi confirment ce fait. Ce même général ordonna, dès le second jour, de distribuer aux prisonniers un quart de pain, prélevé sur la portion du soldat bulgare, et le major Mitov nous a confirmé qu’il s’est lui-même chargé d’exécuter cet ordre, qui, du reste, est conservé dans les archives du ministère de la Guerre (Annexe n° 77). Le premier jour, les soldats vainqueurs partagèrent leur pain avec les prisonniers et les populations affamées. Mais ni ces scènes touchantes, ni même l’ordre donné par le général ne purent suffire à assurer le ravitaillement de la masse, et il y a tout lieu de croire que ces pauvres gens ne cessèrent pas d’absorber « les matières malsaines ou vénéneuses » dont parle P. G. dans son mémoire. La mortalité parmi les prisonniers a du être grande, surtout dans l’île où le choléra réapparut, le troisième ou le quatrième jour du siège. Le manque de tentes — même si on l’explique par cette circonstance qu'il était le lot commun de toute l’armée — reste un fait avéré. Un autre fait, la rigueur des nuits passées par ces malheureux sous la pluie et dans la boue glacée, suffirait à lui seul à expliquer l’accroissement de la mortalité. Quand on relit les descriptions publiées dans la presse euro- 1 Nous avons été amené à faire ces citations un peu longues du livre de M. P. G., parce que ce livre est une rareté bibliographique. On peut trouver la confirmation des impressions de P. C. dans un autre Journal du Siège d'Andrinople, par Gustave Cirilli (Chapelot, Paris 1914). Voir p. 99 et 100.