LES ORIGINES DES DEUX GUERRES BALKANIQUES vie siècle après J.-C., avaient occupé les différentes parties de la contrée (la population indigène, — grecque, albanaise ou romanisée, — ayant été chassée ou assimilée) ne servaient plus qu’à grossir les armées ou à figurer dans les titres pompeux que se décernaient les « autocrates » de tous ces Serbes, Grecs, Bulgares et Albanais, réunis en une sorte d’organisation impériale, en une « grande Serbie » ou en une « grande Bulgarie ». L’écroulement de ces « grands » Etats éphémères n’amenait d’ailleurs aucun changement dans la composition ethnographique de la péninsule. Les constructions politiques tombaient et s'élevaient de nouveau, sans qu’on tentât jamais de refondre ces populations dans tel ou tel moule national. L’idée nationale n’était évidemment pas, à ce moment-là, aussi étroitement liée que maintenant à l’idée étatique. Le Bulgare, le Serbe, le Valaque, l’Albanais restaient bulgare, serbe, valaque ou albanais sous tous les régimes successifs : c’est ce qui explique que l’ancienne composition ethnographique se soit maintenue intacte jusqu’au jour où la conquête turque vint niveler toutes ces nationalités et les conserver toutes dans cet état de torpeur qu’on a pu comparer quelquefois à l’effet produit par un réfrigérant gigantesque. En admettant qu'il y ait eu des germes de nationalités dans les constructions politiques qui se remplaçaient et se combattaient l’une l’autre à l’arrivée même des Turcs, le régime turc les aurait définitivement détruits. Sans s’en rendre compte, les Turcs travaillaient à cette destruction de la manière la plus efficace. En effet, ils chassaient — ou ils assimilaient — la classe dirigeante, c’est-à-dire la classe guerrière des pays conquis. Il ne restait plus dans les communes que des villageois agriculteurs, dont le seul trait d'union, au point de vue moral, était la religion. Mais là encore, le régime turc a beaucoup contribué à réduire à son minimum le rôle ethnique et national des croyances religieuses. Comme la religion de toutes les nationalités conquises était la même, à savoir l’orthodoxie orientale, les Turcs ont fini par ne plus reconnaître qu’un seul représentant des croyances des « raïas », et ce représentant s’est trouvé être le clergé grec qui était le plus cultivé et, aussi, le plus en vue dans la capitale, Constantinople. Le Phanar (quartier grec de Constantinople où est située la Patriarchie grecque) a fini par devenir la seule Eglise orthodoxe de la Turquie, et les derniers vestiges des églises nationales et autonomes, qui existaient encore à Okhrida (pour les Bulgares) et à Ipék (pour les Serbes), ont été définitivement abolis par les décrets de la patriarchie grecque, en 1765 et en 1767. En conséquence, les populations orthodoxes ont reçu dans la langue officielle de la bureaucratie turque un nom ethnique commun : elles ont toutes été des « Roum-mileti », du ,nom du peuple grec, rômaios (c’est le nom que se donnaient jusqu’en ces derniers temps les Grecs modernes). Pourtant, la conscience nationale des peuples ainsi confondus et submerges ne s’obli-