80 GRECS ET BULGARES des maris, à l'heure actuelle, cherchent encore leur femme, et des parents, leurs enfants. Il arrivait à ce fleuve de fugitifs de traverser la route des armées en lutte : le fracas de la cavalerie, derrière eux, produisait une panique, un sauve-qui-peut où les mères perdaient leurs enfants, parfois en abandonnaient un, avec l’espoir de sauver l’autre (Annexes nos 33, 34, 35). Ils arrivaient au terme de leur exode, sachant que leurs troupeaux leur avaient été pris, leurs moissons livrées au premier venu et leurs foyers détruits. Toute cette misère, toute cette ruine dépassent vraiment le dommage normal et inévitable qu’on peut attendre de la guerre. Les paysans laissèrent tout et s’enfuirent, parce qu’ils croyaient leur vie menacée par l’armée grecque. Reste à savoir si cette crainte était justifiée. L’immense majorité des Macédoniens réfugiés en Bulgarie n’a jamais été en contact avec l’armée grecque et n’a rien su d’elle directement. La rumeur des violences commises n’arrivait pas jusqu’à eux : ils savaient seulement qu’on avait brûlé d'autres villages. Ils s’enfuyaient parce que tous s’enfuyaient, et le pire qu'ils puissent dire, c'est qu’ils ont vu, de loin, leur propre village flamber. Il serait naturel d'attribuer leurs craintes à leurs préjugés ou à leur panique, si l’on n’avait pas le témoignage de ceux d’entre eux, peu nombreux, qui furent directement en contact avec les troupes grecques. On trouvera dans l’Appendice plusieurs dépositions recueillies parmi les réfugiés. On ne peut pas douter que ces paysans aient dit la vérité. La plupart d’entre eux étaient des villageois simples, illettrés, ahuris par leur souffrance et tout à fait incapables d’inventer. Ils ont raconté leur histoire avec la sincérité la plus exacte et la plus terne. En ce qui concerne deux des récits les plus impressionnants, nous avons obtenu par ailleurs une ample confirmation, et cela, dans des circonstances qui excluaient toute possibilité de tromperie. Ainsi, un réfugié d’Arkanjeli, qui s'était enfui à Salonique, nous a raconté une histoire de boucherie et d’horreur (voir Annexe n" 39), qui concordait, dans presque tous les détails, avec l’histoire racontée par un autre réfugié du même endroit et (jui, lui, setait enfin retrouvé à Sofia (Annexe n° 41)- traversant Dubnitsa, nous demandâmes à un groupe de réfugiés s’il n’y avait personne là qui arrivât d’Arkanjeli. Un jeune homme s'avança et, pour la troisième fois, nous raconta la même histoire que les deux autres (Annexe n° 42). L'histoire du petit Mito Kolev (Annexe n° 36), qu’il nous raconta à Sofia, se trouva de même corroborée d’une manière accidentelle, à Samokov (Annexes nos 37 et 38), par deux témoins qui s’étaient avancés quand nous avions demandé à un groupe de réfugiés si personne n’était du village en question (Gavaliantsi). Nous ne pouvons pas mettre en doute la vérité d'un récit qui nous arrive ainsi par l’intermédiaire de témoins absolument indépendants les uns des autres. Ces deux épisodes sont typiques; il nous faut les rapporter ici brièvement.